Films du mois
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- Légendes des pictos :
- Séance suivie d'une rencontre |
- Sous-titrage sourds et malentendants |
- VF Version française |
- Séance précédée ou suivie d'un repas
De Jia Zhangke avec Zhao Tao, Zhubin Li, Pan Jianlin, Zhou Lan, 周遊, Ren Ke, Mao Tao
Drame - Chine - 2024 - VOST - 1h51
Les Feux sauvages
Chine début des années 2000. Qiaoqiao et Bin vivent une histoire d’amour passionnée mais fragile. Quand Bin disparaît pour tenter sa chance dans une autre province, Qiaoqiao décide de partir à sa recherche. En suivant le destin amoureux de son héroïne de toujours, Jia Zhang-ke nous livre une épopée filmique inédite qui traverse tous ses films et 25 ans d’histoire d’un pays en pleine mutation.
Depuis son premier long métrage Xiao Wu, artisan pickpocket (1997), Jia Zhangke s’est efforcé de témoigner des évolutions de son pays, cernant le quotidien de ses habitants, et mettant l’accent sur les tourments de quelques protagonistes. Cela a donné des œuvres intenses telles que Plaisirs inconnus, Still Life et A Touch of Sin. En 2015, le réalisateur avait élargi son audience avec Au-delà des montagnes qui apportait une teinte émotionnelle, jouant ouvertement la carte du mélodrame, démarche confirmée, à un moindre degré, avec Les éternels, son avant-dernier film. Caught by the Tide a la particularité d’avoir été monté avec des séquences tournées sur plusieurs années, en vingt ans. Les premières images datent de 2001, et les autres séquences ont été réalisées ultérieurement, jusqu’en 2022. Le cinéaste précise dans ses notes d’intention à propos des origines de son projet : « Avec ma caméra, j’ai capté des foules chantantes, j’ai tournoyé avec les danseurs. J’ai suivi les jeunes dans tous leurs endroits préférés. La caméra entre mes mains était submergée de plaisirs inconnus. Au cours des vingt années suivantes, j’ai suivi certaines de ces personnes de temps à autre, dans les Trois Gorges du fleuve Yangtze, à Zhuhai dans l’extrême sud, dans le nord-est et le sud-ouest de la Chine. Au fur et à mesure qu’elles vieillissaient, les caméras que j’utilisais évoluaient également : de la simple DV à l’Alexa et à la VR ». Dans ce cadre, l’histoire d’amour cabossée entre Guao Bin (Zhubin Li) et Qiao Qiao (Zhao Tao, muse du réalisateur) est un presque un « MacGuffin » hitchcockien, traitée avec retenue et ellipses. L’essentiel est l’environnement des protagonistes, et le réalisateur a incrusté ici un aspect documentaire, les individus apparaissant sur l’écran ayant eu un lien avec les fermetures des mines de charbon, l’ouverture d’un salon de thé dansant ou le développement des réseaux sociaux numériques. Fiction et réalité sont ainsi imbriquées, avec une mise en abyme vertigineuse puisque le personnage de Qiao Qiao avait déjà été utilisé dans deux autres films du cinéaste. Curieuse et attachante Qiao Qiao, chanteuse joyeuse au début du métrage puis jeune femme muette dans la plupart des séquences, n’hésitant pas à entreprendre des kilomètres pour retrouver son ex mais ne trouvant aucune parole face à lui, présentant un éternel regard triste, réservant ses seuls sourires au robot qui lui tient compagnie dans le supermarché où elle a trouvé un job, à l’aube de la quarantaine... On l’aura compris, Jia Zhangke renoue avec la veine radicale de ses débuts, avec un art sans concession, dans la lignée des Antonioni et Angelopoulos, la parabole politique en plus. Contemplatif et d’une belle rigueur formelle, le film est traversé de plans saisissants, urbains ou maritimes, axés sur l’individu ou le collectif, d’une soirée musicale entre jeunes gens au numéro d’un septuagénaire star de Tik tok, en passant par la célébration des Jeux olympiques de Pékin et la mise en place des contrôles pendant la crise sanitaire. Si le film est globalement linéaire et chronologique (mais avec peu d’indication de dates et de lieux), il ne faut pas chercher une logique narrative dans cette fresque intimiste qui nécessite une participation du spectateur pour dénouer l’implicite. Si l’ensemble est indiscutablement de haute tenue, on peut regretter toutefois une froideur ambiante et un souhait de distanciation qui étouffe toute émotion et pourra laisser sur le côté certains spectateurs, surtout s’ils ne sont pas familiers du cinéma de Jia Zhangke. Caught by the Tide n’en demeure pas moins un bel objet filmique, hautement recommandable. à Voir à Lire
De Andrea Arnold avec Nykiya Adams, Barry Keoghan, Franz Rogowski, Jason Buda, Frankie Box, Jasmine Jobson, James Nelson-Joyce, Jason Williamson, Joanne Matthews, Carlos O'Connell, Rhys Yates
Drame - France/Royaume-Uni/Etats-Unis/Allemagne - 2024 - VOST - 1h58
Bird
À 12 ans, Bailey vit avec son frère Hunter et son père Bug, qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs.
Après un étonnant documentaire sur une vache, "Cow", Andrea Arnold revient à un cinéma plus fidèle à sa filmographie, où les laissés-pour-compte sont mis dans la lumière, préférant toujours le naturalisme aux artifices clinquants. Mais cette fois, sa chronique sociale prend la forme d’un portrait déchirant d’une adolescente rebelle. Bailey vit dans un squat au nord de Kent, avec son frère et son père, dont le comportement ne suggère pas qu’il est le patriarche de la famille. D’ailleurs, il a prévu de se marier avec sa nouvelle copine. Quatre mois qu’ils sont ensemble, on est dans une relation longue. Pour Bailey, ce n’est pas un problème, elle a l’habitude des obsessions et des folies de son père. Et en plus, il a un plan pour se faire de l’argent, projet qui implique de la drogue et un crapaud. Non ce qui énerve le plus la gamine, c’est qu’on la force à porter une horrible robe léopard violette, à elle, le garçon manqué. Elle décide alors de claquer la porte, et durant ses pérégrinations, va rencontrer un homme qu’on surnomme Bird, début d’une aventure et d’une étrange amitié. Poursuivant son exploration des classes sociales, la digne héritière de Ken Loach signe une nouvelle fresque poignante sur les marginaux, où la vitalité de son cinéma continue d’impressionner malgré le poids des années qui s’accumulent. Avec sa caméra au plus proche des corps, la cinéaste ne s’éloigne de ses protagonistes que dans de rares moments, lorsqu’elle décide de capturer également la nature, les insectes et les oiseaux qui construisent la musique de cette campagne dans laquelle le personnage principal aime tant se ressourcer. Loin du tumulte d’un monde bien trop violent, la jeune fille y trouve une échappatoire, un endroit de liberté et de sécurité dans lequel elle a le droit de se comporter comme une enfant de son âge, heureuse de marcher dans le sable et de courir dans l’herbe. Triple récompensée à Cannes, la réalisatrice ose alimenter sa chronique de touches de fantastique, transformant sa peinture du paupérisme en un conte qui devrait vous rappeler un certain film français, présent l’année dernière sur la Croisette. Questionnant la figure paternelle, "Bird" réussit à transcender son scénario très (trop) prévisible par une émotion vibrante, où les petits détails produisent les plus grandes larmes. Comme souvent avec la Britannique, le métrage est accompagné d’une bande-son soignée et électrisante, et révèle de nouveaux visages. Entre la poésie de Franz Rogowski et les punchlines de Barry Keoghan, c’est bien Nykiya Adams dont on retiendra le plus la performance, saisissante de justesse dans le rôle casse-gueule de cette bambine obligée de jouer les adultes. Lumineux et onirique, "Bird" s’affirme comme une très belle ode à la jeunesse. Abus de ciné
De Ray Yeung avec Patra Au Ga-Man, Maggie Li Lin-Lin, 太保, Leung Chung-Hang, Fish Liew, Hui So-Ying, Rachel Leung, Luna Shaw, 李麗霞, Bonde Sham, Jimmy Wong Wa-Wo, Lai Chai Ming
Drame - Hong-Kong/Chine - 2024 - VOST - 1h33
Tout ira bien
Angie et Pat vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de 30 ans. Jamais l'une sans l'autre, leur duo est un pilier pour leur famille et leurs amis. Seulement, au décès brutal de Pat, la place de Angie se retrouve fortement remise en question...
S’il est réalisateur depuis près de vingt ans, c’est en juin 2021 que Ray Yeung s’est fait un nom en France avec son troisième long-métrage, Un printemps à Hong-Kong. Peu de temps après la réouverture des salles de cinéma en France et la fin des mesures sanitaires liées à la pandémie de covid-19, ce très beau film avait su toucher juste en évoquant une communauté gay hong-kongaise, et plus précisément d’hommes âgés cachant leurs amours, dans une clandestinité douloureuse. Ray Yeung continue dans cette veine intime, autour d’un couple de femmes dont l’une d’entre elles décèdent subitement, sans avoir pu faire de testament ni signer aucun papier officiel mettant à l’abri sa compagne de toujours. Le film a pour titre international All shall be well, qu’on peut traduire par « Tout ira bien », comme un encouragement vis-à-vis de cette étape difficile où une personne se retrouve seule face à son deuil. Toute la narration est construite dans une forme de déconstruction de cette affirmation. Cette vision positive va se confronter à une réalité, froide et implacable, où l’absence de cadre légal autour des couples de même sexe aboutit à des situations dramatiques. La perte de l’être aimé se double ainsi d’une série d’humiliation phénoménale, atteignant son paroxysme dans le film avec l’éviction d’Angie de son appartement, qui était uniquement au nom de Pat, sa partenaire de vie décédée. Si tout ne va pas bien se dérouler pour Angie, c’est à cause des enjeux financiers qui entourent la succession de Pat. En quelques semaines, toutes les images de concorde, l’illusion d’avoir une famille, tout vole en éclat. L’auteur prend le soin de présenter cette dégradation de la situation d’Angie graduellement. Cela n’en est que plus violent à l’écran, dans un effet de sidération initial qui paralyse, avant de révolter, puis de faire perdre toute confiance en elle à ce très beau personnage de femme. Cette « deuxième mort » est administrée par la famille de la défunte, qui instrumentalise sa parente pour mettre la main sur des biens qui lui a fait envie toute sa vie. Cette réalité, née d’entretiens réalisés par le cinéaste, retranscrit au plus près les drames vécus par des couples similaires à celui de Pat et Angie. Une des plus belles scènes du film est aussi une leçon redoutable à plus d’un titre. Angie va voir une amie avocate pour lui avouer qu’elle est prête à capituler devant la famille de Pat, car après tout elle veut leur bien, et leur laisser son appartement aurait peut être été son choix. La lecture d’un testament non encore signé rédigé par Pat est le sommet émotionnel du film. Ces quelques lignes restaurent à la fois la confiance du personnage, mais aussi d’une certaine manière son amour pour Pat, comme une piqure de rappel sur la racine du doute instillé par cette famille avide de récupérer les biens de leur parente. Plus que tout autre chose, cette scène rappelle l’importance du cadre légal pour les communautés LGBTQIA+. Au delà de l’histoire intime qu’il raconte, Ray Yeung livre un plaidoyer pour la reconnaissance légale des couples homosexuels, et une forme de protection fondamentale contre ce type de situation romanesque qui fait tout perdre au membre survivant du couple. Plus qu’une question de confiance ou d’insouciance, c’est de survie dont nous parle Tout ira bien, loin de l’angélisme du postulat de départ, nous montrant une vie de famille heureuse où toutes sont acceptées pour ce qu’elles sont. Une fois les masques tombés, l’agressivité des intérêts personnels est terrifiante, superbement représentée par le casting du film, et notamment par la grâce et la combattivité de Patra Au, magnifique dans son rôle d’Angie. Le Bleu du Miroir
De Raoul Peck avec LaKeith Stanfield
Documentaire - Etats-Unis - 2024 - VOST - 1h46
Ernest Cole, photographe
Ernest Cole, photographe sud-africain, a été le premier à exposer au monde entier les horreurs de l'apartheid. Son livre House of Bondage, publié en 1967 alors qu'il n'avait que 27 ans, l’a conduit à s'exiler à New York et en Europe pour le reste de sa vie, sans jamais retrouver ses repères. Raoul Peck raconte ses errances, ses tourments d’artiste et sa colère au quotidien, face au silence ou la complicité du monde occidental devant les horreurs du régime de l’Apartheid. Il raconte aussi comment, en 2017, 60 000 négatifs de son travail sont découverts dans le coffre d'une banque suédoise.
A écouter : Raoul Peck pour le documentaire sur le photographe sud-africain Ernest Cole (Tous les cinémas du monde, RFI)
Comment survivre en Occident, pour qui n’a jamais connu la démocratie ? Voilà la question que se pose Ernest Cole à lui-même dans ce documentaire réalisé à partir d’images choisies parmi les centaines qu’il a photographiées. Il y joue également le rôle du narrateur, par la voix de Lakeith Stanfield qui récite les écrits retrouvés du photographe. Ainsi, par ses photos, ses mots et la récit de ses oppositions, l’essentiel de sa courte mais passionnante vie est contenue et racontée grâce à une mise en scène inventive et immersive. Comme beaucoup d’autres artistes, Ernest Cole aura vécu dans la pauvreté jusqu’à sa mort avant de ressusciter grâce à son œuvre. Les clichés à sa disposition représentaient un matériau de base idéal et très riche dans lequel Raoul Peck a pioché pour raconter l’histoire de cet homme malchanceux mais déterminé, qui se trouvait doté d’un œil imparable et d’un sens aiguisé de la composition. C’est donc autant au grand photographe qu’au citoyen apatride luttant pour sa survie permanente que le cinéaste rend hommage dans son documentaire. Le cinéma intervient à l’intérieur même des photos, où Peck réinvente des cadrages en jouant sur les valeurs de plan. En agrandissant un détail avant de le replacer dans son format original ou en le juxtaposant avec d’autre images à l’aide de split screens ou de mosaïques, le travail forcené de Cole est non seulement mis en avant, mis en valeur mais surtout, mis en perspective. La trajectoire de cet homme obstiné et miséreux, témoignant de l’Apartheid en Afrique du Sud puis chroniquant la lutte pour les droits civiques aux USA, paraît alors aussi terrible que limpide. Même s’il ne s’agit pas d’un format biopic à proprement parler, Peck, par son travail éloigné du cahier des charges normalement administré à ce format, lui a redonné du souffle. D’ailleurs, tous les films ainsi estampillés seraient bien inspirés de s’intéresse à cette méthode, on serait alors débarrassé de ces captations lisses et complaisantes de pages Wikipédia produites à la chaîne. Alors qu’ici, en se fondant sur des faits objectifs, sans dorer inutilement le blason de son sujet et en s’effaçant complètement derrière lui, le réalisateur aboutit à un portrait précieux et précis, si bien qu’on en ressort avec l’impression troublante de connaître Ernest Cole, d’avoir été présenté à lui et de l’avoir entendu nous raconter son histoire. La démarche du réalisateur répond presque à un devoir de mémoire, afin que soit connue et honorée la riche contribution à la scène artistique et historique de ce photo-reporter formé sur le tas. Au milieu de l’enseignement politique qui nous est donné à travers ces images, c’est aussi tout un pan de la photographie américaine que l’on redécouvre grâce au travail de Cole. Il a su saisir l’aliénation, la violence et l’hostilité grouillant à New York, alors ville phare du monde supposé libre. Quand on sait que bon nombre de ses pellicules sont perdues à jamais et que quelque centaines de tirages attendent un déblocage juridique pour retourner aux ayants-droits, on se plait à imaginer qu’une suite ou un complément d’Ernest Cole, Photographe pourrait un jour se matérialiser sous d’autres formes. Le Bleu du Miroir
De Werner Herzog avec Werner Herzog, Katia Krafft, Maurice Krafft, Harry Glicken
Documentaire - France/Royaume-Uni/Etats-Unis/Suisse - 2022 - VOST - 1h21
Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft
En s’emparant des captivantes archives cinématographiques des volcanologues Katia et Maurice Krafft, Werner Herzog célèbre avec poésie la vie, brutalement interrompue en 1991, de deux chercheurs et preneurs d’images à l’oeuvre unique.
Rencontre avec Pierre Fluck, professeur émérite, spécialiste en géologie, ami de Maurice Krafft, le mercredi 15 janvier à 20h
Récompensé notamment au Festival de Gijón, le présent documentaire a eu un format initialement télévisuel, diffusé sur Arte en 2022. Distribué dans les salles en décembre 2024 grâce au distributeur Potemkine, il devrait y élargir son audience. On sait que Werner Herzog a souvent été tenté par une approche purement documentaire, avec des films tels que Le pays du silence et de l’obscurité et La grotte des rêves perdus. Son goût des tournages physiquement à risques et sa thématique de la relation entre l’homme et un environnement naturel ne pouvaient être qu’en conformité avec l’approche de Katia et Maurice Krafft. Ce couple de vulcanologues, dont la carrière a débuté à la fin des années 1960, a connu une existence à la fois fascinante et tumultueuse, étudiant (de très près) les éruptions volcaniques aux quatre coins de la planète, d’Hawaï au Mexique, de l’Islande à l’Indonésie, avec une passion jamais démentie. Le documentaire débute par la fin de leur parcours, lorsqu’ils sont prêts à être mortellement engloutis par une coulée pyroclastique alors qu’ils examinaient le mont Unzen au Japon, en 1991. Herzog est persuadé que les Krafft étaient d’authentiques cinéastes, dignes héritiers des frères Lumière par leur captation simple mais saisissante du réel, d’autant plus que la force des images qu’ils ont accumulées pendant ces quelques décennies a été inédite. Leurs archives révèlent en effet un talent filmique valant bien celui du commandant Cousteau faisant découvrir aux spectateurs les beautés des fonds marins dans Le monde du silence (coréalisé par Louis Malle). Mais le film qu’ils auraient pu tirer de l’ensemble de leurs travaux n’a jamais eu lieu. Aussi Herzog propose-t-il une ébauche de montage (ou une longue bande-annonce) de ce qu’ils auraient pu entreprendre, tout en rendant hommage à leurs personnalités hors norme, par une voix off qu’il assure lui-même. C’est cette mise en abyme qui est la plus intéressante dans le film, d’autant plus qu’on retrouve un écho à l’univers fictionnel de réalisateur : on songe aux célèbres Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo, ou au méconnu Le pays où rêvent les fourmis vertes. Scientifiques, mais aussi humanistes et à leurs manières ethnologues, les Krafft auraient pu connaître la consécration octroyée à un Jean Rouch, si leur statut de cinéastes avaient pu être un jour assumés. Car il faut préciser à nouveau que leurs prises de vue et cadrages sont sublimes et impressionnants, d’autant plus qu’ils ont joué avec leurs vies à plusieurs reprises. On apportera toutefois des réserves : le choix des morceaux musicaux, du requiem aux chants espagnols, noie parfois le film dans une emphase et une religiosité pesante, tandis que les propos redondants et didactiques de la voix off cassent par moments la poésie de ce matériau documentaire. Cela n’empêche pas de recommander Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft, en parfaite cohérence avec l’ensemble de l’œuvre de son auteur et accessible à tous les publics. à Voir à Lire
De Roger Planchon avec Régis Royer, Elsa Zylberstein, Anémone, Claude Rich, Hélène Babu
Biopic
Comédie
Dramatique - France - 1997 - VF - 2h05
Lautrec
La vie de Toulouse-Lautrec racontée au cinéma : sa peinture, son goût de la fête, des spectacles, des plaisirs, sa tendresse pour les exclus, les prostituées. Le film est ainsi l’évocation du siècle dernier que Lautrec traversa avec désinvolture et panache.
Catherine Koenig, historienne de l'art, présente l’artiste et son travail en introduction à la projection.
De Roy Ward Baker avec Ralph Bates, Martine Beswick, Gerald Sim, Lewis Fiander, Susan Brodrick
Fantastique
Horreur - Royaume-Uni - 1971 - VOST - 1h37
Dr. Jekyll et Sister Hyde
Le docteur Jekyll, réalisant que la science avance trop lentement à son goût, se dit qu'il est possible de trouver un moyen d'allonger la vie. Les résultats ne seront pas vraiment ceux qu'il recherchait…
Eric Peretti, programmateur du LUFF de Lausanne et des Hallucinations Collectives de Lyon, autodidacte passionné et passionnant, présente le film et poursuit la discussion à l’issue de la projection.
"Dr. Jekyll and Sister Hyde" est un film britannique de 1971 réalisé par Roy Ward Baker, une réinterprétation libre et originale du célèbre roman Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Robert Louis Stevenson. Produite par les studios Hammer, cette version mêle horreur gothique et une intrigue audacieusement centrée sur des thèmes de genre et de transformation. Le docteur Henry Jekyll, un scientifique ambitieux, cherche à prolonger la vie humaine. Dans ses recherches, il découvre un sérum qui le transforme en une femme, séduisante mais dangereuse, qu'il appelle Sister Hyde (jouée par Martine Beswick). À mesure qu'il explore cette dualité, sa personnalité féminine prend peu à peu le contrôle, révélant une nature meurtrière et amorale. L'histoire introduit des éléments macabres inspirés de faits historiques, comme les crimes de Jack l'Éventreur et les activités des "resurrecteurs" Burke et Hare. Les meurtres deviennent une nécessité pour obtenir des matériaux pour ses expériences, poussant Jekyll et Hyde à plonger toujours plus profondément dans la folie et la violence. Ce mélange inhabituel de science, de genre et d'horreur fait de Dr. Jekyll and Sister Hyde un classique culte apprécié pour son originalité et son audace.
De Gilles Dagneau
Documentaire - France - 1998 - VF - 0min
JEAN-MARIE TJIBAOU LA PAROLEE ASSASSINEE
Documentaire qui retrace l'itinéraire d'un homme qui aura consacré sa vie à guider le peuple kanak vers son émancipation et qui est mort avant même d'avoir achevé sa tâche, assassiné par l'un des siens.
Rencontre avec des intervenants kanaks animée par ATTAC et la Ligue des Droits de l’Homme.
De ADRIAN GOIGINGER avec Voodoo Jürgens, Agnes Hausman, Claudius von Stolzmann
Comédie
Musical
Drame - Alllemagne/Autriche - 2023 - VOST - 0min
RICKERL, MUSIC IS HOCHSTENS A HOBBY
Dans le milieu viennois du Tschocherl et du Beisln, termes locaux désignant des bars et des restaurants délabrés, peu attrayants mais néanmoins confortables. Erich "Rickerl" Bohacek rêve de devenir célèbre tout en essayant d'être un bon père pour son fils Dominik. Ce n'est que lorsque Rickerl risque de perdre Dominik pour de bon qu'il réalise qu'il doit changer fondamentalement de vie.
Séance proposée par le Service d'Action Culturelle de l'Université de Haute Alsace pour les 25 ans de son Centre d'Examen Goethe de l'IUT de Mulhouse
Prix du Public, Prix du Jury professionnel et Prix des étudiants de l'Université de Haute-Alsace Festival Augenblick 2024
De Beatrice Minger avec Eileen Gray, Charles Morillon, Axel Moustache, Natalie Radmall-Quirke
Documentaire - Suisse - 2024 - VF - 1h29
E.1027, Eileen Gray et la maison en bord de mer
Un voyage cinématographique dans l'esprit d'Eileen Gray. La créatrice irlandaise construit un refuge sur la Côte d'Azur en 1929. Sa première maison est un chef-d'œuvre discret et avant-gardiste. Elle la nomme E.1027, mariage énigmatique de ses initiales et de celles de Jean Badovici, avec qui elle l'a construite. Le Corbusier, en découvrant la maison, est intrigué, obsédé. Il recouvre les murs de peintures murales et en publie des photos. Gray qualifie ces peintures de vandalisme et demande leur restitution. Il ignore ses souhaits et construit à la place son célèbre Cabanon directement derrière E.1027, qui domine encore aujourd'hui la narration du site. Une histoire sur le pouvoir de l'expression féminine et le désir des hommes de la contrôler.
Présentation de séance par Sarah Favrat, chargée de projets.
L'architecture aussi a ses effacées. Eileen Gray fut de celles-là, créatrice libre et audacieuse dans une avant-guerre encore dominée par les hommes. Dans la biographie de cette brillante designer d’origine irlandaise, une page sombre : la dépossession artistique dont elle fit les frais, victime de la toute-puissance de Le Corbusier. Épisode amer que relate ce film dans un style singulier, combinant images d’archives et saynètes théâtrales jouées par trois comédiens. L’architecte star à l’ego dilaté est loin d’y avoir le beau rôle, imposant avec brutalité ses fresques sur les murs de la villa moderniste qu’Eileen Gray a bâtie avec son partenaire, Jean Badovici, en bord de Méditerranée. Le nom et l’aura du maître finiront par être associés au bâtiment pourtant conçu par une autre. Nourri par les écrits de la discrète Eileen, cet hommage lui rend la place qui lui revient. Au centre de la photo. Télérama
De Tiina Lymi avec Amanda Jansson, Linus Troedsson, Amanda Kilpeläinen Arvidsson, Jonna Järnefelt, Tobias Zilliacus
Historique
Drame - Finlande - 2024 - VOST - 2h44
Maja, une épopée finlandaise
Au XIXe siècle, Maja épouse Janne, un modeste pêcheur. Ils s'installent sur l'île isolée de Stormskerry, un endroit où la vie est un défi permanent. Ayant grandi dans un monde traditionnel, Maja prend conscience de sa liberté grâce à l’amour de Janne et de ses enfants. Mais la guerre va bouleverser leur destin.
"C’est une folie de savoir où l’on veut vivre et ce que l’on veut être ? - Comme si toi ou n’importe quelle autre femme pouvait prendre ce genre de décision – Je peux décider ce que je veux faire." Échapper au joug du conformisme social reste toujours une affaire de volonté individuelle où la force et la souplesse de l’esprit sont souvent mises à rude épreuve, mais cela l’était encore plus pour les femmes au milieu du XIXe siècle quand la domination masculine s’exerçait avec l’onction de la religion dans un environnement économique où la simple survie était alors de rigueur. Tel est le cadre du très attachant Maja, une épopée finlandaise, le 5e long métrage de Tiina Lymi, carton du box-office en début d’année dans son pays. "J’ai trouvé un endroit pour nous : Stormskerry. Il y a du poisson, on peut y créer son propre monde et c’est beau, complètement ouvert et libre : une mer à l’infini, du vent, du soleil. Tout ça serait à nous". Quand Janne (Linus Troedsson) fait cette proposition de vie à la sensible et enjouée Maja (Amanda Jansson) qu’il courtise depuis une petite année, la jeune fille, qui ne cache pas son inquiétude face à l’inconnu, ne sait pas encore qu’elle va s’embarquer dans un voyage sortant totalement de l’ordinaire, dans une existence où elle devra affirmer la puissance cachée de son caractère et connaître les émotions les plus profondes de l’amour et de la douleur car "on doit tous faire face à la vie et à la mort." Éduquée dans un christianisme strict ("se regarder dans le miroir est un péché") mais relativement bienveillant (tant que les limites ne sont pas franchies), Maja croit néanmoins aussi en la Nature (la maîtresse de la mer, les esprits de la forêt et de la pierre, etc.) et Janne s’accommode de ces superstitions ("si c’est important pour toi, c’est important pour moi"), d’autant mieux que l’amour s’épanouit entre les deux jeunes gens dans l’isolement de l’île de Stormskerry, dans l’archipel Åland. Nudisme, naissance de quatre enfants, pêche et commerce : les saisons (avec ses très rudes hivers) et les années passent, heureuses, jusqu’au jour où la grande Histoire rattrape la famille. Car le grand-duché de Finlande est alors une composante de l’Empire russe et dans une action secondaire de la guerre de Crimée en 1854, les navires de guerre anglais surgissent. Janne doit fuir et Maja se retrouve seule avec ses enfants et une troupe anglaise menée par le lieutenant John Wilson (Desmond Eastwood) qui prend ses quartiers dans sa maison. Un premier choc qui sera suivi d’autres drames à affronter pour une femme qui va s’émanciper, s’instruire et tenter de tenir debout face à l’arbitraire au fil d’une vie riche et tumultueuse. De facture classique, Maja, une épopée finlandaise (adaptation de romans de Anni Blomqvist) remplit fort bien son contrat épique, romantique et féministe pendant 152 mn et sans que jamais l’ennui ne guette. Le décor suggestif de l’île et de solides interprètes dessinent, avec une belle maîtrise des ellipses temporelles, un très attachant portrait de femme plus forte qu’elle ne croyait et qui résonne facilement aujourd’hui : "j’ai survécu à la guerre, à la famine et aux épreuves. Est-ce que cela vaut moins parce que je ne suis pas un homme ? Je ne suis pas folle et je n’ai pas peur." Cineuropa
Chris Sanders, James Ivory et Gilles Gardner, Iciar Bollain, Soi Cheang, Gilles Lellouche, Clint Eastwood, India Donaldson
Action
Animation
Comédie
Documentaire
Dramatique
Policier
Thriller
Drame - France/Royaume-Uni/Etats-Unis/Allemagne/Belgique/Hong-Kong/Chine/Espagne/Italie/Russie - 2024 - VF / VOST -
BELAIRAMA
Il n’y a pas que le Festival Télérama ! Sinon, on appellerait ça la monarchie du bon goût ciné…
Le Cinéma Bel Air vous propose du 22 au 28 janvier de découvrir ou redécouvrir des films de l'année 2024. Films inédits ou ayant marqués l'année précédente, nous vous les proposons à un tarif unique de 5€.
Toutes les séances du BELAIRAMA sont à 5€.
De James Ivory, Giles Gardner avec James Ivory
Documentaire - Royaume-Uni - 2022 - VOST - 1h15
Un été afghan
En 1960, le cinéaste James Ivory s'est rendu en Afghanistan pour tourner des scènes destinées à un film documentaire. Le film n'a jamais été réalisé, et les images sont restées enfermées dans une malle pendant 60 ans. En 2022, à l'âge de 94 ans, il a décidé de se plonger dans ce matériel unique pour se remémorer sa jeunesse et comprendre ainsi comment ce voyage improbable loin de sa petite ville américaine de l'Oregon a contribué à former le célèbre cinéaste qu'il est devenu.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Un vieil homme ouvre les cartons amassés dans sa grande maison, et le charme opère… Car cet élégant Américain, qui aura 96 ans cette année, est non seulement un cinéaste mais un excellent conteur – finalement oscarisé pour le scénario de Call Me by Your Name, en 2018. En retrouvant les bobines d’un documentaire jamais achevé, tourné à Kaboul en 1960, James Ivory déroule plus que le fil de cette expérience de jeunesse : c’est toute sa vie dont il explore la trame, au gré d’un récit qui se révèle témoignage testamentaire et profession de foi. Déjà lecteur de Forster, dont il réalisera des adaptations fameuses (Chambre avec vue, Retour à Howards End), le cinéaste débutant découvre, grâce au romancier britannique, les écrits de l’empereur Babur (1483-1530), devenu symbole d’un attachement légendaire à Kaboul. L’Afghanistan de 1960 veut donner l’image d’un pays ouvert et tolérant, mais le XVIᵉ siècle n’est pas si loin. Babur, qui inscrivit dans ses Mémoires l’étrange penchant qu’il ressentit pour un jeune marchand, ravive les souvenirs d’adolescence de James Ivory. Dans l’Amérique des années 1940, ses désirs pour d’autres garçons restaient, comme ceux de l’empereur d’Asie centrale, sublimés. Il faudra d’autres voyages, à Venise puis, surtout, en Inde, pour que le cinéma devienne passion et que s’affirme, parallèlement, une identité gay brandie aujourd’hui avec une joie sereine. Sur une musique dépouillée d’Alexandre Desplat, les entrelacs de ce destin sont finement recomposés. L’intérêt pour les miniatures indiennes conduit à une histoire d’amour qui durera cinquante ans, avec le producteur Ismail Merchant. Un été afghan, coréalisé avec Giles Gardner, séduit, de même, par sa modestie, sa simplicité, avant de prendre une ampleur profondément émouvante. Télérama
De Icíar Bollaín avec Mireia Oriol, Urko Olazábal, Ricardo Gómez, Lucía Veiga, Font García
Biopic
Drame - Espagne/Italie - 2024 - VOST - 1h57
L'Affaire Nevenka
Le cas réel d’une pionnière, Nevenka Fernández : la première femme qui est parvenue à faire traduire en justice un homme politique influent et populaire pour harcèlement sexuel au travail.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Bien avant qu’apparaisse le mouvement #MeToo, une jeune femme espagnole dénonçait son harceleur, un élu représentant le Parti populaire, et elle était bien seule. Engagée à 25 ans à la mairie de Ponferrada, en 1999, Nevenka Fernández fut la protégée du maire, Ismael Alvarez, sa favorite puis sa nouvelle conquête et, dès lors qu’elle tenta d’échapper à son emprise, sa proie sans défense, bientôt brisée. Dans une ville où le pouvoir de l’édile entretenait l’omerta, la fragile Nevenka osa faire entendre sa voix, et les violences qu’elle dénonça en mars 2001 aboutirent à un procès inédit dans le monde politique espagnol. Devenue emblématique d’une réalité désormais identifiée, cette affaire a fait l’objet d’une série documentaire sur Netflix (Nevenka Fernández brise le silence) et maintenant d’une reconstitution menée avec beaucoup de rigueur par une talentueuse femme cinéaste et les deux admirables comédiens qu’elle a choisis, Mireia Oriol et Urko Olazabal, pour interpréter la victime et son bourreau. De la souffrance psychologique à la terreur physique Sous le classicisme d’un film-dossier qui instruit méthodiquement les faits, on découvre la précision d’un regard d’aujourd’hui, averti et en alerte. Icíar Bollaín met chaque scène à profit pour faire apparaître une dérive manipulatrice. D’emblée mise sur un piédestal puis, quand elle devient récalcitrante, publiquement rabaissée, Nevenka fait toujours l’objet d’un traitement à part et se retrouve isolée. Coupée d’elle-même aussi, car elle ne comprend pas comment elle a pu céder, un soir, aux avances pressantes du maire. C’est tout un processus d’altération de ce qu’elle est qui s’illustre graduellement, pour nous ouvrir les yeux. Le basculement de la souffrance psychologique à la terreur physique est radicalement impressionnant, preuve de la force du ressenti qui traverse ce film où la compassion est mise au service de la lucidité. Le courage de Nevenka y résonne aussi à travers la détermination de la réalisatrice. Qui s’implique intensément et démontre sa volonté d’aider le combat réparateur des femmes meurtries. Télérama
De Soi Cheang avec Raymond Lam, 古天樂, Terrance Lau, Tony Wu, 張文傑
Action
Thriller - Hong-Kong/Chine - 2024 - VOST - 2h05
City of Darkness
Dans les années 80, le seul endroit de Hong Kong où la Loi Britannique ne s’applique pas est la Citadelle de Kowloon, une enclave livrée aux gangs et trafics en tous genres. Poursuivi par la puissante triade de Mr. Big, un migrant clandestin y trouve refuge sous la protection de Cyclone, le charismatique chef de la Citadelle. Ensemble, ils vont devoir faire face aux attaques de Mr. Big et de ses sbires afin de protéger la population de la cité fortifiée.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Fils spirituel et ancien assistant réalisateur de Ringo Lam et Johnnie To, deux artisans majeurs, avec John Woo et Tsui Hark, de l’âge d’or du cinéma d’action hongkongais à la fin des années 1980 et dans la décennie suivante, Soi Cheang rend hommage à ses maîtres dans un film de gangsters aussi virtuose que frénétique. L’exercice de style et d’admiration, présenté en séance de minuit lors du dernier Festival de Cannes, ressuscite un décor millésimé – le Hong Kong interlope d’avant la rétrocession à la Chine – qui n’existe plus que dans les films qui ont contribué à l’élever au rang de mythe pour cinéphiles mélancoliques. Superbement reconstitué et magistralement filmé, le personnage principal n’est ni un truand sanguinaire ni un flic véreux, mais bel et bien un lieu, chargé de mémoire criminelle : la citadelle de Kowloon, enclave chinoise dans la colonie anglaise, progressivement devenue zone de non-droit dans laquelle ni les représentants britanniques, ni les autorités de Pékin, pas plus que la lumière, ne pouvaient pénétrer. Jusqu’à sa démolition en 1993, ce fut une véritable ville dans la ville, où les laissés-pour-compte de la société hongkongaise cohabitaient avec la pègre et tout l’éventail de ses activités illégales. Un gigantesque bidonville vertical, équivalent à quatre terrains de football, dans lequel s’entassèrent jusqu’à cinquante mille habitants et qui palpite à nouveau sous nos yeux écarquillés par la magie du chef décorateur Kenneth Mak, déjà responsable de la transformation de Hong Kong en cloaque de pluie et de plastique dans Limbo, précédent film de meurtre et d’atmosphère crapoteuse signé Soi Cheang. C’est dans cette Babylone moderne que se réfugie un migrant clandestin pour échapper au chef des triades. Le gang de ce dernier va bientôt devoir affronter celui du chef de la citadelle qui a pris le fuyard sous son aile, non sans lui avoir infligé un test de loyauté des plus sadiques. Bien que solidement ficelée, l’intrigue importe moins que l’art et la manière dont les bastons et les cascades sont exécutées dans ce formidable huis clos labyrinthique tout en étages, en étroitures et en culs-de-sac, dernier endroit sur terre où l’on aurait imaginé admirer une poursuite à moto, et pourtant ! Abandonnant toute vraisemblance, notamment dans la violence paroxystique des duels (les personnages traversent toits et cloisons sans une égratignure ou presque), le film, adapté d’un manhua (manga chinois), devient encore plus fascinant quand surgissent, in fine, des éléments fantastiques qui font basculer le polar dans la mythologie. Et City of Darkness de se hisser, incidemment, au panthéon du cinéma hongkongais. Télérama
De Gilles Lellouche avec Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallory Wanecque, Malik Frikah, Alain Chabat
Comédie
Thriller - France/Belgique - 2024 - VF - 2h42
L'Amour ouf
Les années 80, dans le nord de la France. Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c'est l'amour fou. La vie s'efforcera de les séparer mais rien n'y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur...
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Il a gagné ses galons de réalisateur en nous invitant dans Le Grand Bain (2018) mais cette fois, c’est lui qui se jette à l’eau. Avec L’Amour ouf, Gilles Lellouche ouvre son cœur et prend le risque d’une vraie générosité : il filme tout ce qu’il aime, il aime tout ce qu’il filme et, au bout de deux heures et quarante minutes, il n’est pas à bout de souffle. Une joie offerte en partage traverse ce film, comme une ferveur qui accompagne son couple d’amoureux, Clotaire et Jackie, lycéens des années 1980, réunis puis séparés par la vie, privés du bonheur qui a grandi en eux et n’attend que de rejaillir. Gilles Lellouche, né en 1972, fait corps avec ces personnages comme s’il s’élançait lui-même dans la vie, avec l’innocence et l’insolence de la jeunesse. Casse-cou, il ose, il voit grand. Cette façon de mêler dans un même mouvement les prouesses de l’amour et celles du cinéma invite à rapprocher l’acteur-réalisateur de son homonyme, Claude Lelouch. Mais une tonalité juvénile et exotique fait la différence : L’Amour ouf est mis en scène avec les yeux d’un spectateur qui a vibré devant des films américains. Si le coup de foudre de Clotaire et Jackie est retentissant, c’est aussi parce qu’il a d’emblée, visuellement, un punch venu d’ailleurs. Et lorsque le jeune garçon se met à fréquenter les voyous, l’évocation du nord de la France devient déclaration d’admiration pour l’univers de Scorsese et de ses gangsters. Omniprésentes, les références vont jusqu’à la comédie musicale mais ne sont jamais écrasantes : elles sont l’âme de ce film qui joue avec le cinéma du tac au tac, dans un dialogue spontané et alerte. Au fil de sa romance épique qui permet à quatre comédiens de briller en interprétant, à deux âges différents, Clotaire (Malik Frikah / François Civil) et Jackie (Mallory Wanecque / Adèle Exarchopoulos), L’Amour ouf prend, en accord avec son titre, le séduisant parti de la folie. Élevée pour être une première de la classe et le rester toute sa vie, Jackie a la déraison de ne suivre que ses sentiments. Clotaire, pris dans les braquages et les entourloupes, poursuit son idée de la justice et de l’honneur qui va jusqu’à la vengeance, fidèle à lui-même au point de se mettre en danger. À travers ce duo d’entêtés, sortis d’un roman de l’Irlandais Neville Thompson, Gilles Lellouche célèbre ceux que la société considère comme des perdants, mais qui ont gagné le meilleur : la grandeur du cœur. Message éminemment sympathique d’un film qui donne envie d’aimer. Télérama
De Chris Sanders avec Lupita Nyong'o, Pedro Pascal, Kit Connor, Bill Nighy, Stephanie Hsu
Aventure
Animation
Comédie - Etats-Unis - 2024 - VF - 1h42
Le Robot Sauvage
L’incroyable épopée d'un robot -- l'unité ROZZUM 7134 alias "Roz" -- qui après avoir fait naufrage sur une île déserte doit apprendre à s'adapter à un environnement hostile en nouant petit à petit des relations avec les animaux de l'île. Il finit par adopter le petit d’une oie, un oison, qui se retrouve orphelin.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Prodigieux graphiquement, mené à 100 à l’heure et cumulant d’incessants rebondissements, pourvu d’un humour désopilant, « Le Robot sauvage », qui pourra charmer de 7 à 97 ans, se distingue par la générosité de son propos et la grande originalité de son scénario. Le Parisien
De Clint Eastwood avec Nicholas Hoult, Toni Collette, Chris Messina, Zoey Deutch, J.K. Simmons
Thriller
Drame - Etats-Unis - 2024 - VOST - 1h54
Juré n2
Justin Kemp, un père de famille, qui est juré d’un procès très médiatisé pour meurtre. Il se retrouve alors aux prises avec un grave dilemme moral... Il a le pouvoir d’influencer le verdict du jury, qui pourrait décider de condamner ou de libérer l’assassin présumé.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Serait-ce l’ultime film de Clint Eastwood ? Si oui, Juré n° 2 ferait un beau tomber de rideau. L’Américain de 94 ans y traite de culpabilité et de morale au fil d’un récit captivant, où à la fois une mort et une naissance hantent la conscience d’un homme. Et puisque l’acteur Eastwood ne joue, cette fois, aucun rôle, le voilà débarrassé des tensions narcissiques qui encombraient Cry Macho, en 2021. L’hypothèse d’une œuvre testamentaire éclaire nombre d’aspects de ce suspense, et d’abord l’efficacité imparable de l’argument, si simple à résumer : désigné juré d’un procès pour meurtre, le personnage principal (joué intensément par le Britannique Nicholas Hoult) découvre avec effroi, à cette occasion, sa propre responsabilité dans la mort de la victime. Selon un souci extrême de lisibilité, Eastwood rappelle et détaille les principes de la justice étasunienne et le fonctionnement de semblable procès à travers le regard du juré débutant. Ce citoyen jeune et apparemment ordinaire, scruté par le cinéaste pendant chaque délibération, on le suit aussi dans son intimité, attendant, avec sa femme, l’arrivée imminente d’un premier enfant, après l’échec d’une précédente grossesse. À rebours de la face sombre de l’image de Clint Eastwood, dont certains films ont flirté avec une complaisance pour les règlements de compte privés, Juré no 2 est un éloge raisonné du système judiciaire, et au-delà, de la vérité, contre toutes les alternatives et autres arrangements. La honte ressentie par le héros, à l’idée qu’un innocent puisque être condamné par sa faute, n’en est pas moins complexe, et l’immoralité en embuscade. Le juré tourmenté consulte un avocat expérimenté et dissimule les raisons de son désarroi à son épouse bien-aimée ; mais il est également débordé par des actes manqués, des gestes et des comportements qui échappent à son contrôle et trahissent un désir de se rendre. Au fil du procès, une deuxième protagoniste s’impose : la procureure, sobrement incarnée par Toni Collette, ayant autant de raisons de conclure l’affaire vite (elle entre en politique) que de punir le vrai coupable – une droiture irréductible l’anime. Réalisé dans le plus pur classicisme, l’ensemble a cependant quelque chose d’habité, jusqu’au troublant. Il faut voir comment Eastwood montre l’apparition magique d’un bébé dans un foyer. Ou comment il met en scène le décor du drame, un pont campagnard évoquant, malgré toutes ses dissemblances, celui de Sur la route de Madison. À bien des égards, le film témoigne d’une reconnaissance de son réalisateur envers les cycles de la vie et les règles de la société. Mais aussi envers le cinéma, où tout peut se jouer, comme dans la magnifique dernière scène, sur les seuls visages d’un acteur et d’une actrice. Télérama
De India Donaldson avec Lily Collias, James Le Gros, Danny McCarthy, Sumaya Bouhbal, Diana Irvine, Sam Lanier, Eric Yates, Peter McNally, Julian Grady, Becca Brooks Morrin, Valentine Black, Sarah Wilson
Drame - Etats-Unis - 2023 - VOST - 1h30
Good One
Une jeune femme de 17 ans accepte de randonner en forêt avec son père, et un vieil ami de celui-ci. Nulle grande révélation, nul grand trauma, mais les hommes pèsent de plus en plus. La fille, jusqu’alors considérée comme la « good one », l’enfant sans problème, encaisse puis n’y arrive plus.
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
Avant d’entrer à l’université, Sam accepte de partir randonner en forêt avec son père divorcé et le vieux pote un brin lourdaud de ce dernier. Quelques jours en pleine nature qui vont changer le regard de l’adolescente sur les hommes en général, et sur son géniteur en particulier… Ce premier long métrage, dans son écriture incisive comme dans sa mise en scène moins modeste qu’elle en a l’air, épouse le parcours initiatique de sa jeune héroïne, interprétée avec subtilité par la quasi-débutante Lily Collias. Virée sous la tente dans les Catskills aidant, l’influence du cinéma bucolique et minimaliste de Kelly Reichardt est évidente, mais India Donaldson signe bien mieux qu’une copie appliquée de bonne élève : Good One se révèle une chronique sensible, délicate et précise, des rapports fille-père mais aussi une évocation très juste du machisme ordinaire. Prometteur. Télérama
De Ilya Povolotsky avec Maria Lukyanova, Гела Читава, Eldar Safikanov, Ксения Кутепова, Александр Чередник, Semyon Steinberg, Николай Орловский
Drame - Russie - 2021 - VOST - 1h59
La Grâce
Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d’un van qui contient tous leurs biens et le matériel d’un cinéma itinérant. Ils organisent des projections en plein air dans les villages reculés. Lors de leur périple, de brèves rencontres ponctuent leur solitude. Mais leur vie va basculer sur les rives de la mer de Barents…
Dans le cadre du BELAIRAMA, séances au tarif de 5 euros (3 euros Carte culture).
La Grâce est un film qui porte bien son nom. Émotif, sobre, retenu, aussi bien au niveau des émotions exprimées par les personnages, qui ne s’enfoncent jamais dans l’écueil de la sensiblerie, qu’a celui de son esthétique, irréprochable, maîtrisée, d’où émerge un sentiment presque révérencieux, comme on s’inclinerait devant la grandeur d’un paysage – ces mêmes paysages qui bordent l’arrière-plan du film, dans lesquels semblent s’incruster les protagonistes, comme sur une toile peinte, et qui éblouissent. De là, provient le titre, Blazh, qui porte en lui un sens complexe, signifiant tout à la fois la grâce, mais également la lubie, une forme d’étrangeté combinée au mysticisme. Car c’est bien vers cette émotion pure, et de l’ordre du divin, du spirituel, que tendent à nous emporter les images. Tout débute au creux de la nature. Une jeune fille d’une quinzaine d’années, peut-être un peu plus, est accroupie au pied d’une rivière qui coule, la tête entre les jambes, et tâte le sang qui s’échappe pour la première fois de son sexe. C’est une position primitive, en lien avec ce qu’elle traverse, organique, et qui trouve un écho dans l’environnement, l’eau ruisselant venant comme répéter le flux qui s’échappe à l’intérieur d’elle : un liquide qui sort, et se perd, en tâches rouges sur ses doigts. Ici, est esquissée en filigrane l’une des thématiques de l’intrigue : l’entrée dans l’adolescence, la transformation pubertaire. Mais comment réagir quand on vit esseulée, dans un van contenant tous les biens d’une petite famille monoparentale, portant en lui le souvenir d’une mère décédée, avec pour seul compagnon, un père, présent certes, mais figure masculine inconciliable avec le changement que traverse sa fille ? Tous deux arpentent la Russie, du sud vers le nord, avec leur cinéma itinérant, un écran géant qu’ils déplient lorsqu’ils s’arrêtent dans les villages, et sur lequel ils projettent un film, leur permettant de gagner de l’argent. Le voyage est dès lors plus métaphorique et introspectif, que physique. C’est un passage vers l’âge adulte, que capte brillamment Ilya Povolotsky, avec ce qu’il contient d’opposition et de révolte : la jeune fille, d’abord encline à ne pas faire de vagues, s’anime - au sens de se mouvoir mais aussi de prendre vie - au moment où une femme entre dans leur vie. Une femme de passage, vouée à être quittée. Mais elle semble alors ressentir une sorte de rancune et de jalousie, en vient à se liguer, non pas contre le père en propre, mais contre ce qui les rassemble tous les deux, leur maison itinérante : le van. Une pierre est balancée, dans un accès de colère, sur le pare-brise, et la jeune fille fugue avec son amoureux. C’est une révolte par les gestes, jamais par la parole, dans ce film empruntant aux codes du muet. Très peu de paroles sont échangées entre les deux protagonistes, sûrement parce qu’à force de se côtoyer, l’intimité, si forte, a laissé place aux silences, aux gestes familiers, habituels, que la fille s’efforce de capturer à l’aide de son appareil photo. Sur le chemin qui les mène à leur destination, ils font des rencontres, et l’adolescente pose son œil dans l’objectif. Là aussi, une forme de rivalité avec la figure paternelle se met en place. Elle critique, inconsciemment et par le biais de l’art, leur mode de vie : les paysages ne cessent de défiler derrière la vitre ; l’image, elle aussi, est mouvante. Les plans fixes, qui saisissent le van, seul petit détail dans une vaste flore, zooment et se rapprochent de leur objet. Il y a un double mouvement : celui de la caméra, qui semble s’enfoncer en avant dans l’environnement, comme si elle métamorphosait le geste de l’introspection ; et le van qui poursuit sa route sur les chemins enlacés dans les rochers des montagnes, traçant une courbe et guidant l’œil du spectateur d’un bout à l’autre du plan, permettant alors de naviguer et d’observer le paysage. Il y a une appartenance à la nature, une impulsion qui vient faire se fondre l’humain dans la stabilité, ce qui ne bouge pas, ou bien très lentement. C’est justement ce que tente de photographier la jeune fille : elle se meut sans cesse, voit apparaître et disparaître des noms de villages, des hommes, des femmes et des enfants ; les rencontres ne peuvent être que de l’ordre de l’éphémère. Alors, en guise de révolte, elle les capture, fait des portraits, fige l’instant, pour avoir un semblant de maîtrise sur ce qui l’entoure, s’approprier ce qui ne dure pas. La Grâce est donc un film à la charge poétique envoutante, au rythme lent et contemplatif, qui emporte celui qui le regarde vers des rives lointaines, et pourtant si proches, vers le lyrisme du quotidien, la banalité des jours qui se succèdent, défilent et ne se ressemblent pas. Quand l’ordinaire devient extraordinaire. à Voir à Lire
De Naoko Ogigami avec Ken Mitsuishi, Noriko Eguchi, Akira Emoto
Comédie - Japon - 2023 - VOST - 2h00
Le Jardin zen
Luxe, calme et volupté. Tout va pour le mieux dans la vie parfaitement réglée de Yoriko et de tous ceux qui, comme elle, ont rejoint la secte de l’eau. Jusqu’au jour où son mari revient à la maison après de nombreuses années d'absence, entraînant avec lui une myriade de problèmes. Rien, pas même ses plus ferventes prières, ne semble restaurer la précieuse quiétude de Yoriko… Avec tout cela, comment faire pour rester zen ?
Aucun long métrage de Naoko Ogigami n'avait jusqu'alors été distribué en France. Le jardin zen pourrait changer la donne et, pourquoi pas, permettre de voir des œuvres antérieures de cette cinéaste qui semble porter un regard particulièrement acide sur la société et la famille japonaises contemporaines. Les personnages du Jardin zen sont plutôt ambivalents, parfois bienveillants mais assez souvent sans pitié pour leurs compatriotes. Tout, en surface, peut sembler lisse et calme mais la férocité se cache derrière les sourires et les remarques acerbes qui abondent, prononcées avec aplomb mais sans agressivité trop marquée, font invariablement mouche. Le jardin zen, réalisé de manière impeccable et implacable, témoigne d'une grande malice et d'une ironie grinçante qui parleront nécessairement aux amateurs d'humour pince-sans-rire, qui sait être fort cruel, à l'occasion. Si le film en dit long sur la frustration dans les relations familiales, il fustige aussi les nouvelles communautés (pour ne pas dire sectes) qui fleurissent partout au Japon, aux méthodes et aux objectifs plus que douteux. La réalisatrice épingle les comportements et les modes de pensée de l'ensemble de ses personnages, tout en leur gardant leur humanité. Avec sa lenteur étudiée, qui ne suscite nul ennui car le Diable se cache dans moult détails, Le jardin zen est moins paisible que son titre semble indiquer et c'est bien son côté piquant (subversif) qui lui donne toute sa saveur et son alacrité. Sens critique
De Jean-François Laguionie avec Elias Hauter, Grégory Gadebois, Coraly Zahonero, André Marcon, Mathilde La Musse
Animation - France/Luxembourg - 2024 - VF - 1h15
Slocum et moi
Début des années 50, sur les bords de Marne, François, un jeune garçon de 11 ans, découvre avec intérêt que ses parents entament, dans le petit jardin familial, la construction d'un bateau, réplique du voilier du célèbre marin Joshua Slocum. Au long des années, dans une France d'après-guerre, le jeune François va voguer de l'adolescence à l'âge adulte. Au fil de la construction du bateau, tout en portant un regard tendre et poétique sur sa mère et son père, le jeune garçon entamera sa propre aventure, celle qui le mènera sur le chemin de ses passions, la mer et le dessin.
Il est chez lui depuis toujours au festival d’Annecy. Jean-François Laguionie, 84 ans, légende discrète de l’animation française, a même reçu en 2019 un Cristal d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, du Château des singes (1999) au Tableau (2011), entre autres merveilles, peintes sur toiles mélancoliques et rêveuses. Des contes, volontiers penchés au bord de mer, de La Traversée de l’Atlantique à la rame (1979), un court métrage en papier découpé, à Louise en hiver (2016), étrange et émouvante histoire d’une vieille dame errant dans une station balnéaire vidée de tous ces habitants. De l’eau, encore et toujours, il y en a, dans ce très beau Slocum et moi, son dernier (mais, espérons-le, pas son ultime) long métrage, présenté cette année en compétition officielle, sept mois avant sa sortie en salles, prévue le 29 janvier 2025. Il y a celle des bords de Marne, près desquels un jeune garçon vit avec ses parents, dans un modeste pavillon avec jardin et poulailler, à l’orée des années 1950 – une France des souvenirs, vivante et nostalgique délicatement crayonnée. Et puis il y a l’océan, aussi vaste que les rêves du père, ou que les aventures du fameux Joshua Slocum du titre, un célèbre navigateur américain du XIXᵉ siècle, qui s’échappent parfois des pages d’un livre pour éclabousser le film et l’imagination des personnages de vagues lointaines et exaltantes. Le jeune garçon, c’est Jean-François Laguionie lui-même, qui choisit ici pour la première fois de mettre la grâce de ses traits épurés, de ses couleurs poudrées, la douceur inimitable de son talent, au service d’un récit autobiographique. Hommage infiniment tendre à ce paternel qu’il croque avec pudeur, faux airs de Jean Gabin, massif et taiseux, et à l’histoire vraie d’un voyage immobile. Des années durant, à l’étroit dans son petit jardin, cet homme a patiemment, méticuleusement, construit un bateau, sans jamais se résoudre à le finir. Une nef familiale à laquelle tous contribuent, du bois, des clous, de l’huile de coude, et puis l’amour, en creux, entre les parents, entre l’enfant qui grandit plus vite que l’encombrante embarcation, et cet homme bourru en salopette qui n’est pas son père biologique, mais bien mieux, beaucoup plus. Celui qui, en montrant que parfois, les rêves peuvent se suffire à eux-mêmes, et les plus grandes aventures tenir dans les plus petits jardins, a élevé et inspiré un artiste. Télérama
De Meryam Joobeur avec Salha Nasraoui, Mohamed Grayaâ, Malek Mechergui, Adam Bessa, Dea Liane
Drame - Tunisie/France/Canada/Norvège/Qatar/Arabie Saoudite - 2024 - VOST - 1h58
La Source
Dans un village reculé de Tunisie, Aicha et Brahim sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs fils, partis pour une guerre indicible. Quand l’un d’eux revient avec une mystérieuse fiancée voilée et muette, les parents décident de taire ce retour. Mais Bilal, un policier et ami de longue date, enquête sur des événements inquiétants. Ses suspicions ne tardent pas à le mettre sur la piste de la famille.
Dans Les Filles d’Olfa (2023), Kaouther Ben Hania racontait l’engagement djihadiste de deux sœurs de Tunis et son impact dévastateur sur leur famille, en mêlant jusqu’au vertige documentaire, reconstitution fictionnelle et réflexion sur le film en cours de fabrication. Le sujet de La Source est très proche, mais son traitement narratif et esthétique, radicalement différent : pour son premier long métrage, la réalisatrice canado-tunisienne Meryam Joobeur a choisi de faire appel au cinéma de genre, à travers un récit en clair-obscur où le fantastique se mêle à la réalité. Dans leur ferme isolée, Aïcha et Brahim sont inconsolables du départ de leurs deux fils aînés, Medhi et Amine, partis rejoindre les rangs de Daech en Syrie. Mais un jour, Medhi revient, sans son frère mais accompagné de Reem, une femme intégralement voilée et mutique. Brahim rejette le couple mais Aïcha est prête à tout pour les protéger, y compris quand Bilal, un policier ami de la famille (Adam Bessa, le héros des Fantômes, de Jonathan Millet), enquête sur de mystérieux événements qui sèment la panique dans la région…Sur la soumission de la femme dans le monde arabe, l’aveuglement des combattants islamistes et les détournements de la religion pour légitimer les pires crimes, le film livre un constat amer et poignant, pointant une forme de culpabilité collective. Mais c’est sa mise en scène, poétique et habitée, qui impressionne le plus. Meryam Joobeur joue avec brio sur l’opposition entre le flou et le net, l’enfermement et l’ouverture, les teintes sombres et les couleurs éclatantes. Qu’elle filme le littoral à la fois grandiose et effrayant du nord de la Tunisie ou cadre ses personnages au plus près de leurs visages (superbe photographie, riche en textures, du chef opérateur canadien Vincent Gonneville), la jeune cinéaste crée des images oniriques d’une puissance rare. On n’est pas près d’oublier ces plans récurrents de chevaux sans cavalier, ces dunes recouvertes d’un feuillage rouge vif. Ou le regard bleu laser de Reem derrière son hijab, si intense, si troublant de désespoir et de dureté mêlés qu’il évoque un fantôme venu hanter les hommes comme un remords. Télérama
De Kirk Hendry, Neil Boyle avec Sally Hawkins, Cillian Murphy, Raffey Cassidy, Aaron MacGregor, 渡辺謙, Alfred Kodai Berglund, 落合賢, Cavin Cornwall
Aventure
Animation - Grande-Bretagne/Luxembourg/France - 2023 - VF - 1h24
Le Royaume de Kensuke
L’incroyable histoire de Michael, 11 ans, parti faire un tour du monde à la voile avec ses parents, avant qu’une terrible tempête ne le propulse par-dessus bord avec sa chienne Stella. Échoués sur une île déserte, comment survivre ? Un mystérieux inconnu vient alors à leur secours en leur offrant à boire et à manger. C’est Kensuké, un ancien soldat japonais vivant seul sur l’île avec ses amis les orangs-outans depuis la guerre. Il ouvre à Michael les portes de son royaume et lorsque des trafiquants de singes tentent d’envahir l’île, c’est ensemble qu’ils uniront leurs forces pour sauver ce paradis...
«Pour le plaisir d’aller enfin au cinéma sans craindre d’être rejetés », c’est ce que propose l’association Culture-relax, parrainée par Sandrine Bonnaire. Des séances de cinéma tout public, aménagées pour les rendre accessibles à des personnes exclues des loisirs culturels à cause d’un comportement parfois inattendu. Chaque spectateur est accueilli de sorte qu’il se sente le bienvenu et respecté tel qu’il est.
A Mulhouse, ces séances, initiées par Francis Schaller, bénévole aux Papillons Blancs, peuvent exister grâce à la présence de bénévoles issus de L’Ecole Supérieure de Praxis Sociale de Mulhouse.
Les séances sont au tarif de 5 € pour tous et sont suivies d’un goûter proposé par les Papillons blancs.
Adaptation brillante d’un best-seller jeunesse de Michael Morpurgo, ce récit initiatique narrant les aventures d’un enfant et d’un ancien soldat japonais naufragés sur une île déserte interroge notre rapport à la nature. La Croix
De Glauber Rocha avec Geraldo del Rey, Yoná Magalhães, Othon Bastos, Sonia dos Humildes, Maurício do Valle, Lídio Silva, João Gama, Antônio Pinto
Aventure
Policier
Western
Drame - Brésil - 1964 - VOST - 1h59
Le Dieu noir et le Diable blond
Dans les plaines arides du Sertão, un couple de paysans brésiliens, touché par la misère, commet un meurtre pour s’en sortir avant de s’enfuir. Ils s’en remettent à deux personnages violents et mystiques, symbolisant la révolte : Sebastião, l’incarnation de Dieu, et Corisco, celle du diable.
Autodidacte passionné et passionnant, Eric Peretti présente le film et poursuit la discussion à l’issue de la projection.
Eric Peretti est programmateur du LUFF de Lausanne et des Hallucinations Collectives de Lyon.
Quand on lit le résumé du deuxième film de Glauber Rocha, on s’attend à voir l’histoire rocambolesque d’un cow-boy en fuite qui se lie avec un prêcheur, pour ensuite aller vivre avec un hors-la-loi qui sera éliminé par un chasseur de primes venu de nulle part. Mais cette histoire baroque de vaqueiros (vachers), de beatos (béats) et de cangaçeiros (bandits nomades du Nord-Est brésilien) est bien autre chose qu’un western du tiers-monde construit avec les artifices du cinéma dominant. Rocha refuse de faire parler les opprimés en révolte avec le langage des oppresseurs. Son rejet vise autant le cinéma politique des nouvelles vagues européennes, qu’il méprise, que l’exotisme porno-misérabiliste d’un tiers-mondisme de pacotille, dans lequel il voit l’un des masques du fascisme. Son Brésil baigne dans une « esthétique de la faim » au rythme syncopé par une oscillation jamais prévisible entre la frénésie d’une caméra ensorcelée et la lenteur exténuante du théâtre japonais. Le caractère épique des poèmes populaires nourrit un modernisme barbare qui n’oublie pas la solennité de la tragédie grecque. Les explosions de violence trouvent une fulgurante figuration dans les images surexposées et le grain brûlé : Rocha filme de très longs plans-séquences, mais pas comme des prouesses formelles pour cinéphiles gourmands. Ses personnages sont des types de la culture populaire brésilienne : pas de psychologie, pas de mythologie, pas de mystique, mais un matérialisme désespéré et tragique. Rocha ne croit ni à la théologie de la révolution (le prophète, le Dieu), ni à la violence gratuite de la révolte (le bandit, le Diable), mais aux paysans qui demain sauront courir symboliquement ensemble vers une mer de libération. Tourné en vingt-trois jours, Le Dieu noir et le Diable blond sera prêt quelques semaines avant qu’un nouveau coup d’État militaire ne transforme le Brésil en une nation d’exil. Les cahiers du cinéma
De Roberto Minervini avec Jeremiah Knupp, Cuyler Ballenger, René W. Solomon, Noah Carlson, Timothy Carlson, Judah Carlson, Bill Gehring
Historique - Belgique/Canada/Italie/Etats-Unis - 2024 - VOST - 1h29
Les Damnés
Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l’armée des Etats-Unis envoie à l'Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.
Cela pourrait être un autre front de guerre, avec des jeunes et des moins jeunes enrôlés dans un combat dont ils ne maîtrisent ni les tenants et les aboutissants. Sauf que cette guerre est plantée dans ce qui sera les États-Unis unifié, en 1861, dans une lutte intestine qui oppose des Américains du Nord et du Sud autant pour des questions de valeur que d’appartenance territoriale. Les soldats qui participent à ce combat qui a tant compté dans l’histoire des États-Unis sont issus du sud et s’interrogent sur la mission qui est leur confiée de découvrir des terres inconnues de la cartographie et de se défendre de l’agression des autochtones. Leur quotidien est ainsi constitué d’installation de camps de fortune au milieu de la nature épaisse, de marches à travers la forêt ingrate et de prières censées redonner une vision à leur mission. Les Damnés est un très grand film. D’emblée, le réalisateur choisit une photographie où les personnages sur le devant de la caméra évoluent dans un flou lointain. Il refuse l’académisme des champs-contre-champs pour égarer ses personnages dans l’immensité des paysages et ainsi les dissoudre dans des images troublées. En face d’eux, les Nordistes n’apparaissent jamais vraiment, à l’exception d’ombres filiformes plantées sur des chevaux ou de coups de fusil qui éclatent au fond des paysages. Cette invisibilité de "l’ennemi" accélère le questionnement des soldats sur le sens de cette guerre civile où ils reconnaissent que le camp du mal et du bien n’est absolument pas bordé. Ils ont beau invoquer leurs valeurs religieuses, leur attachement au territoire de naissance, le découragement survient avec ce que nous appellerions aujourd’hui un burn out. Le film s’ouvre sur une scène magnifique où deux loups, bientôt rejoints par une horde de congénères, se partagent non sans agressivité une proie à dévorer. Toute l’histoire des États-Unis est contenue dans cette première séquence, avec des animaux hargneux qui auraient tout à gagner que de former une unité, plutôt que de se battre pour un seul chevreuil dans une contrée où les gibiers pullulent. La puissance du propos de Roberto Minervini apparaît comme une évidence dans un récit qui revendique une mise en image absolument pas conventionnelles. La guerre est à peine filmée, à l’exception d’une séquence assez longue où l’on voit les hommes s’enfoncer dans la nature et tirer sur des ombres tapies derrière des fourrés. Les morts ensuite se comptent dans des images statiques, magnifiques de surcroît, où un cheval par exemple tente de se libérer des entraves alors que gît à côté de lui celui qui le monte habituellement. Beau n’est pas le seul qualificatif à invoquer pour parler des Damnés. Il y a dans les dialogues entre les soldats une magnifique mise en perspective de la grande Histoire américaine, confondue avec les petites vies de chacun qui y contribuent. Le réalisateur décrit avec une force inouïe l’aberration de la guerre, a fortiori civile, et derrière son propos résonnent tous les combats qui torturent le monde actuellement, qu’il s’agisse de conflits religieux, territoriaux ou idéologiques. Le réalisateur construit un film universel, qui puise d’ailleurs ses investissements en Europe et aux États-Unis, parlant à tous les peuples. L’horreur est lisible sur les visages adolescents ou plus matures de ces hommes qui ont renoncé à leur vie, leur famille et leur terre pour une lutte qui les dépasse. Les Damnés apparaît comme un des films les plus puissants de la sélection cannoise de 2024. Présenté dans la compétition d’un Certain Regard, il s’impose comme un monument de cinéma politique, qui devrait résonner longtemps dans le cœur des spectateurs. à Voir à Lire
De Jean-Pierre Melville avec Alain Delon, Bourvil, Gian Maria Volonté, Yves Montand, François Périer
Policier - France/Italie - 1970 - VF - 2h20
Le Cercle Rouge
Un truand marseillais, un détenu en cavale et un ancien policier mettent au point le hold-up du siècle. Le commissaire Mattei, de la brigade criminelle, leur tend une souricière.
Cette programmation proposée par Le RECIT, soutenue par la Région Grand Est et en partenariat avec l’ADRC, permet de découvrir ou redécouvrir des grands classiques du 7ème Art sur grand écran.
Un partenariat avec MIRA, cinémathèque régionale numérique, permet la projection en avant-programme de courtes séquences d’archives inédites, en lien avec le film.
Melville féru de cinéma américain envisage Le Cercle rouge comme un western urbain. « Un western qui se passe à notre époque et non pas après la Guerre de Sécession ; et où les automobiles ont pris la place les chevaux. », confie-t-il à Rui Nogueira dans son livre d’entretiens, Le cinéma selon Jean-Pierre Melville (Capricci). Pour lui, l’homme qui sort de prison est comparable « au cow-boy à cheval qui, à la fin du générique, pousse les portes d’un saloon. » Le casting imaginé à l’origine par le cinéaste ne ressemblait pas à celui du film final. C’est Lino Ventura qui devait incarner le commissaire François Mattei, rôle qui sera finalement donné à André Bourvil. Les rapports distendus entre Melville et Ventura auront donc eu raison de cette troisième collaboration après Le Deuxième Souffle et L’armée des ombres. Yves Montand, lui, a remplacé Paul Meurisse. Quant à Jean-Paul Belmondo, il devait camper le ténébreux et nerveux Vogel à la place de Gian Maria Volonté. Melville voulait être le premier à réunir à l’écran le duo Delon-Belmondo. C’est finalement Jacques Deray qui réussira ce gros coup avec Borsalino quelques mois avant Le Cercle Rouge. Jean-Pierre Melville avait envie de filmer un casse depuis le tournage des Enfants terribles (1950). Pour Le Cercle rouge, il va donc se faire plaisir, étirer le temps au maximum et filmer de façon ultra-réaliste le vol des bijoux du joaillier Mauboussin, place Vendôme à Paris. La séquence en question, quasi-muette, dure près de vingt-cinq minutes et comprend trente et un plans. Chaque geste est effectué avec une précision obsessionnelle. Ce morceau de bravoure totalement inédit dans le cinéma mondial aura une grande influence sur des cinéastes aussi variés que Michael Mann, Johnnie To ou John Woo. Comme influence majeure pour la réalisation de son Cercle Rouge, Jean-Pierre Melville cite le travail de John Huston et principalement Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950), quintessence selon lui du film de « casse ». Quelques mois avant la sortie française du Cercle Rouge sort du les écrans La Lettre du Kremlin du même John Huston qui emballe Melville. Face à Rui Nogueira, il cite d’ailleurs plusieurs fois ce film d’espionnage. Jean-Pierre Melville de son vrai nom Grumbach a choisi ce pseudonyme en hommage à l’écrivain américain de Moby Dick, Herman Melville. Lors de ses entretiens avec le cinéaste, Rui Nogueira lui fait remarquer que les séquences de délirium tremens dont est atteint le personnage d’Yves Montand, avec la présence d’un incroyable bestiaire, lui fait plutôt penser à Edgar Allan Poe. Le cinéaste le reprend aussitôt : « Vous savez bien qu’entre Poe et Melville, il y a tellement de points communs… Mais je finis par faire de la confusion mentale ; j’oublie que, quand je dis Melville, ce n’est pas moi, mais c’est le grand. » Jean-Pierre Melville avec son Stetson, ses Ray Ban et sa grosse voiture américaine, a fini par devenir un véritable personnage de fiction. Un triomphe public et critique Le tournage du Cercle Rouge n’a pas été une partie de plaisir pour Melville qui s’est plaint d’une équipe technique démotivée et s’est agacé de voir son chef opérateur, Henri Decaë s’octroyer des poses « cigare » entre les plans. Le cinéaste s’est mis à dos à peu près tout le monde, à commencer par Gian Maria Volonté, star italienne très engagée à gauche, dont la détestation pour ce réalisateur tyrannique était connue de tous. Volonté quitta même le plateau quelques jours, menaçant de ne plus revenir. Toutes ces difficultés ont obligé la production à rallonger la durée du tournage, passant de 50 à 66 jours. Le Cercle Rouge est un triomphe, public et critique. Le film qui sort en France le 20 octobre 1970, totalise ainsi 4 339 821 entrées. Le 9 novembre c’est la tête du cinéaste qualifié de « patron » du cinéma français, qui trône en une de L’Express. Le critique Jean-Louis Bory, lui, écrit : « C’est un film bleu. Bleu nuit. Bleu comme le froid. C’est un film sur la nuit, sur le froid (…) C’et du grand cinéma. Et du meilleur Melville. Encore plus beau que Le Samouraï. C’est le triomphe de cette rigueur, faite de litotes et d’ellipses, qui désigne Melville comme un auteur classique. » CNC
De Yannick Kergoat avec Fabrice Arfi, Julia Cagé, Patrick Haimzadeh, Danièle Klein, Karl Laske, François Molins
Documentaire - France - 2025 - 1h43
Personne n'y comprend rien
Une démocratie et une dictature. Une campagne présidentielle et de l’argent noir. Une guerre et des morts. » Personne n’y comprend rien « , se rassure Nicolas Sarkozy au sujet de ses liens avec le colonel Kadhafi. Alors que s’ouvre le procès de l’affaire des financements libyens, voici le film qui va enfin vous permettre de tout comprendre à l’un des scandales les plus retentissants de la Ve République.
Rencontre avec Mathilde Goanec, journaliste à Mediapart, animée par ATTAC et La Ligue des Droits de l'Homme
De Gints Zilbalodis
Animation - Lettonie/France/Belgique - 2024 - - 1h25
Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau
Un chat se réveille dans un univers envahi par l’eau où toute vie humaine semble avoir disparu. Il trouve refuge sur un bateau avec un groupe d’autres animaux. Mais s’entendre avec eux s’avère un défi encore plus grand que de surmonter sa peur de l'eau ! Tous devront désormais apprendre à surmonter leurs différences et à s’adapter au nouveau monde qui s’impose à eux.
A voir : Flow, succès du cinéma européen (Arte)
Dès la lecture du synopsis et l’aperçu des premières images de Flow, difficile d’échapper à la comparaison avec le jeu vidéo Stray, développé par le studio français BlueTwelve et vainqueur du prix du meilleur jeu indépendant de l’année aux Game Awards de 2022. La ressemblance sera d’autant plus naturelle lorsqu’Annapurna Animation (Nimona) sortira l’adaptation du jeu vidéo en film : dans les deux cas, un chat vagabonde dans un monde post-apocalyptique et doit faire équipe avec d’étonnants compagnons pour survivre. Dans Stray, ces compagnons sont des robots humanoïdes. Dans Flow, un chat noir s’allie avec des animaux pour s’adapter à la montée des eaux. Après Ailleurs, son premier film présenté à Annecy en 2019 qu’il a quasiment réalisé seul, Gints Zilbalodis a cette fois-ci agrandi son équipe (moins d’une trentaine de personnes) pour s’attaquer à Flow. Un projet plus ambitieux, plus long, plus perfectionné, qui lui a demandé quatre ans de développement. Le long-métrage emprunte de nombreux codes aux cinématiques de jeux vidéo : si les environnements se veulent réalistes, les traits des animaux ne le sont pas complètement. Leurs animations, en revanche, semblent extraites d’un documentaire animalier. Les étirements du chat, le remuement de queue du chien, les crises de panique du lémurien… Chaque espèce a été étudiée en profondeur pour être représentée le plus justement possible. Parce que dans Flow, c’est tout un équipage éclectique qui collabore pour survivre à une crue diluvienne. Les humains ont visiblement disparu depuis quelque temps, mais les vestiges de leur civilisation perdurent : statues, villes, dessins… et bateaux, qui seront bien utiles à toute une flopée d’animaux. À bord de celui que l’on suit, un rassemblement improbable : un lémurien kleptomane, un labrador joueur, un capybara ronfleur, un échassier protecteur et charismatique. Avec eux, notre adorable chat noir peureux et solitaire, terrifié par l’eau et la vie en groupe (c’est d’ailleurs sur son reflet dans l’eau que s’ouvre le film). Malgré l’absence totale de dialogues et de présence humaine, Gints Zilbalodis a réussi son pari : il a d’abord fait sensation dans la sélection Un Certain Regard de Cannes, puis a remporté le prix du jury et le prix du public à Annecy. Et ces succès relèvent de l’évidence, tant le long-métrage parvient à dépasser le simple survival animalier. La Voie de l’eau Après une introduction à hauteur de chat, alors que notre protagoniste fuit des hordes de chien et tente tant bien que mal de subvenir à ses besoins, Flow grandit en un récit mystique, une œuvre de toutes les échelles. Gints Zilbalodis prend cependant soin de ne pas brûler les étapes, et l’entrée dans l’onirisme se fait pas à pas. D’abord, les cinq compagnons se retrouvent dans des situations difficiles : l’un doit dire adieu à ses bibelots, l’autre ne trouve pas de compagnon de jeu, un troisième trahit les siens par altruisme pour une autre espèce. Tous sont confrontés à des décisions difficiles, condamnés à abandonner leurs habitudes pour s’adapter. Zilbalodis facilite l’identification à ces animaux pour le spectateur, mais prend soin de ne pas les humaniser. Leurs comportements créent de nombreuses séquences comiques — voire hilarantes. Difficile de ne pas craquer devant la nonchalance du capybara, qui au lieu de paniquer face au danger fait simplement marche arrière sans la moindre expression sur son visage. Les différences de caractère favorisent les interactions loufoques et permettent au long-métrage de trouver le juste milieu entre comique de situation et contemplation. À mi-chemin, après l’intervention d’une majestueuse baleine — qui fait écho à Payakan d’Avatar 2 — l’œuvre entre dans une nouvelle dimension, et l’onirisme prend le pas sur le réalisme. La splendeur des décors et de l’animation fait de chaque plan un tableau, et le changement d’échelle fonctionne parfaitement. À cette beauté s’ajoute un remarquable travail sonore, et l’addition de tous les bruits (chant d’oiseau, miaulement, vent dans les feuilles) participe à la création d’un univers aussi cohérent que fascinant. La musique majestueuse — co-composée par Gints Zilbalodis et Rihards Zalupe, lauréats du prix de la meilleure bande-originale à Annecy — donne à Flow toute la grandeur qu’il lui manquait pour pleinement épouser sa dimension mystique, voire biblique. Cette arche de Noé improvisée fait partie d’un cycle éternel de vie et de mort, sur lequel Gints Zilbalodis met le doigt sans fatalisme. Récit d’apprentissage et existentialisme se confondent, alors que le matou noir observe de nouveau son reflet dans une mare d’eau, cette fois-ci bien entouré pour entamer cette nouvelle ère. Le Bleu du Miroir
De Jean-Gabriel Périot
Documentaire - France/Bosnie-Herzégovine/Suisse/Allemagne - 2023 - VOST - 1h49
Se souvenir d'une ville
Le siège de Sarajevo a duré d’avril 1992 à février 1996. 1425 jours, pendant lesquels les jeunes hommes de la ville ont été mobilisés pour la défendre; des jours où certains d’entre eux ont choisi de prendre leur caméra pour conter par l’image la violence qui s’abattait sur eux. 30 ans après, quel regard ces cinéastes portent-ils sur leurs images d’alors, sur cette guerre sans fin et sur leurs craintes qu’elle ne reprenne ?
D’abord, il y a ces saignées magnifiques de verdure où le soleil se mire dans les arbres. Puis soudain, la caméra quitte cette image bucolique pour restituer la parole de jeunes réalisateurs qui ont filmé la guerre à Sarajevo entre 1992 et 1996. Ce sont des courts-métrages conçus au milieu des cris et des morts, avec du matériel de fortune, qui regardent la Bosnie agonir au milieu de ses blessés, de ses embuscades et des immeubles qui brûlent. Les films regardent aussi la population qui ose encore s’amuser, qui cherche à se divertir quand elle ne pleure pas ses soldats disparus ou les civils tués. Puis, trente ans plus tard (déjà trente ans), Jean-Gabriel Périot retrouve ces cinéastes d’hier et leur donne la parole. Chacun alors se livre non seulement sur cette expérience inédite de cinéma, mais aussi les cicatrices encore ouvertes d’une guerre en Europe que les pays occidentaux ont regardé de loin. Se souvenir d’une ville emprunte les mêmes ressorts cinématographiques que les travaux précédents du réalisateur, à savoir évoquer le monde d’aujourd’hui et d’hier à travers les fissures de la mémoire. Sauf qu’ici, le documentariste s’appuie sur des films tournés à l’arrachée dans un hôpital, un immeuble, un bus, ou à l’extrémité d’un passage d’aéroport où les exilés tentent de se sauver de la guerre. Le recours à des archives interroge de manière sensible la façon dont les artistes peuvent traiter la réalité : non seulement en en faisant un objet de connaissance pour les citoyens de demain, mais aussi une œuvre qui raconte, mieux qu’un journaliste, les affres de l’humanité. Les cinéastes confirmés témoignent que la création n’a pas besoin de moyens subséquents, mais simplement d’une inspiration et d’un désir de rendre compte de la tyrannie du monde, autrement que par la simple parole. Pendant ces presque deux heures, on pense au fameux poème de Paul Eluard Liberté, tant l’urgence du geste artistique est puissante chez ces réalisateurs. Eux seuls ont su se saisir des situations voire des tragédies qui se présentaient pour raconter l’irracontable, mettre des visages sur une guerre qui a broyé une partie de l’Europe pendant près de cinq ans. On pense évidemment au conflit qui déchire l’Ukraine, à quelques kilomètres des portes de l’Europe, où l’on serait tenté d’oublier que derrière les bombes, les palabres politiques, il y a des femmes, des hommes, des enfants qui se battent autant qu’ils peuvent, habités par le désir de vivre. Le cinéaste donne alors à son travail une dimension supérieure. Il fabrique un film politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire un film qui rappelle la nécessité de rendre signifiants les conflits dont se désintéressent les puissants. En ce sens, Se souvenir d’une ville illustre dans une langue simple, évidente, ce qui fonde la définition du documentaire, c’est-à-dire une forme de recréation de la réalité au service d’une parole engagée et poétique. Le choix de retenir telle image, d’en effacer telle autre, de procéder à telle coupure dans le montage relève d’un langage artistique sincère au bénéfice d’une vérité qui peine à traverser les consciences. Le césarisé Jean-Gabriel Périot renouvelle son langage de cinéaste dans une œuvre beaucoup plus dense, beaucoup plus brute. Il raconte un conflit d’hier, comme un encouragement à peine dissimulé à nous intéresser aux tragédies nombreuses qui déchirent le monde. Il témoigne de la nécessité de l’expression artistique pour désigner des réalités qui ne parviennent pas à franchir les frontières de la pensée. Il choisit explicitement de montrer l’équipe qui filme les réalisateurs, rendant compte par là même que trente ans plus tôt, les jeunes cinéastes se trouvaient munis des mêmes armes, mais dans le vacarme assourdissant de la guerre. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’il constitue la matière essentielle de Se souvenir d’une ville. Alors, ne faisons rien d’autre que nous souvenir de cette ville, Sarajevo, et toutes les autres qui brûlent dans l’indifférence du monde. à Voir à Lire
- Légendes des pictos :
- Séance suivie d'une rencontre |
- Sous-titrage sourds et malentendants |
- VF Version française |
- Séance précédée ou suivie d'un repas