Chronique
« Je suis une force qui va. » Victor Hugo
« Nous partirons, c’est sûr, nous allongerons
notre foulée et l’ombre s’essoufflera à nous suivre. » Jean-Louis Mossière (à qui le bonheur va)
Allons.
Nous partirons, donc. Un beau jour. Ou peut-être une nuit. Pour un jour ou pour toute la vie. Nihil novi sub sole. Et quelqu’un derrière nous, après avoir tiré le rideau, éteindra la lumière. Mais avant, j’allais oublier, il passera le balai, à la manière de la voiture du même nom qui ramasse et la queue et le peloton. Et que trouvera-t-il, pris dans les crins, sinon des restes de nous, des miettes de nos moments, des reliefs de plaisirs ou de joies. Voire de tourments ou de désespoirs. Des photos, des images, des illusions ou des objets autrefois essentiels aujourd'hui inutiles et demain enterrés, oubliés, des bouts, dérisoires petits bouts, confettis de riens qui diraient que nous avions été, que nous ne sommes plus, des petits cailloux qui nous auront balisés autant que nos chemins. Enfin apparaitront nos faces cachées.
Une fois partis, que restera-t-il ? De nous ? De nos amours ? Une ombre, une voix, une odeur. Qui s’évanouiront. Un mirage, liquide, un flou ondoyant dans l’air. Une fugue. Peut-être quelque part un lieu garderait, imprimée, la trace des pas qui nous auront menés, à peine un jour avant la saison des pluies, à un refuge, a House by the river, une maison près de la rivière. Nous y aurions vécu une vie démente, esprits habités d’un château ambulant, ou d’une cathédrale sauvage, une nef des fous. C’est selon. Être le roi du monde que j’étais quand tu me regardais comme tu me regardais et que nous étions les engagés, les enragés, les enfants du désordre. Moi, du moins. L’enfant des désordres. Le Disco Boy et toi la pas toujours Quiet Girl. Pompoko et Suzume. Pile et face. Passent et filent, there were burning days, ces jours étaient brûlants. Nous essayions alors, furtifs, de nous faufiler dans les interstices. C’était tout juste avant les bruissements de déluge. On s’en va et on y revient, sans cesse, comme au mystère Hokusai, cousin du mystère Picasso, comme à une source.
Voilà donc ce que de nous des échos diront. Ça et plein d’autres choses encore. Et puis nous nous en moquerons, comme de l’an quarante et du reste, puisque nous ne serons plus là pour les entendre. Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots disait L.-F. Céline. Il faut qu’on parle, nous dirons-ils. Alors, dos au mur, nous aurons une sérieuse conversation avec ceux qui nous digérerons (évitons la crémation, le climat y gagnera) et nous leur dirons : relaxe, prenez
votre temps, mâchez-nous bien lentement, piano piano, dégustez, régalez-vous, savourez-nous, décharnez-nous jusqu’à l’os, travaillez votre transit, faites de nous le meilleur humus possible, compostez-nous (et bon voyage), bouclez la boucle, du berceau au tombeau, allez-y en mode low tech, et peut-être finirez-vous en feux follets (ou vers luisant ou lucioles ou fireflies, c’est joli aussi), et peut-être finirez-vous, apothéose, en feux d’artifice, en frères qui éclairent, en frères lumières.
A one-way ticket disent les Anglo-Saxons pour dire un flux à sens unique, a river of no return, une rivière sans retour, et voilà donc ce dont il s’agit, ce qui nous attend, un aller simple sur l’Adamant, un vaisseau spatial, un tapis volant ou une licorne direction, par ici la sortie, Brighton 4th, Little Odessa / New York, Eden / Paradis, Aden Arabie ou ailleurs ou nulle part, chacun se faisant son propre film, sa propre idée de son terminal au bout de la piste d’atterrissage. D’ici-là, allons.
M.
PS : avant d’aller, avant de partir on se rappellera ces films, trop nombreux, qui, par ici, ne verront pas nos yeux : Chili 1976, Atlantic bar, Saules aveugles femme endormie, L'éden, Distant voices, Los reyes del mundo, Normale, Dancing Pina, Alma viva, Loup & chien, La colline, Jeanne Dielman 23 quai du Commerce 1080 Bruxelles… Encore des rencontres qui ne se feront pas. Nous aurions aimé les proposer mais la place nous fait encore et toujours cruellement défaut. Avec un écran unique (dans tous les sens du terme), on peut réaliser des prodiges mais pas de miracles…