Chronique
Ventôse.
… Laissons venir ventôse, tu veux ? Qui finit par arriver, pour moi en tout cas. Fidèle au rendez-vous. Pile le 19 février (Saint-Gabin, Jean 1904-1976). Qui rappelle cette histoire en exergue d’Appointment in Samarra (John O’Hara / 1934) … Bagdad, un marché. Un homme croit reconnaitre dans le geste d’une femme, qu’il pense être la Mort, une menace. Terrorisé, il fuit à Samarra (je préfère Samarcande). La Mort l’y (re)trouve. Son geste marquait en fait la surprise de voir à Bagdad, au marché, l’homme avec qui elle avait rendez-vous le même soir à Samarra (je préfère toujours Samarcande). Boomerang. Mektoub. Fatalitas. Ventôse toc-toc donc à la porte, précis, ponctuel. Qu’annonce-t-il? Pas la fin, pas même le commencement de la fin, peut-être la fin du commencement. Antimétabole. Ainsi a-t-il un pied dans l’hiver encore et l’autre déjà dans le printemps à venir. Germinal en vue, mon général
Hiver. Comme dans La Jetée (Chris Marker, 1962), une boucle sans fin (de mémoire et de perte(s)). L’éternel retour (Jean Delannoy, 1943), en somme. Il dit, Ventôse, mais ne promet rien, faute de pouvoir les tenir, ses promesses. Aussi en serons-nous pour nos frais si nous attendions, à défaut de Grand Soir, de beaux jours. J’en suis là de mes ruminations,
accoudé à un comptoir. J’attends un train. « Un jour, nous prendrons des trains qui partent », excipit précieux. Il en existe encore. Évoquant un lui du temps d’autrefois, du jadis et des naguères, « Où il est ce jeune homme ? » se dit et me demande un monsieur désormais vieux, parlant de ce lui comme d’un autre («Je est un autre» me rappelle Arthur R.,(1854-1891), un autre lui-même d’un autre âge révolu depuis longtemps, trop sans doute. Les ponts sont coupés, les portes closes, perdu de vue le jeune homme, me souffle-t-il, en trempant un biscuit (une madeleine?) dans son café crème. Et pourtant... « Où il est ce jeune homme ? » Je me fous et de la syntaxe et de la grammaire. Tout se niche dans le détail du point de cette interrogation venant d’un vieil homme. Pauvre tarte à la crème, banale évidence, truisme. Le temps qui passe, le temps
passé, le temps qui reste, ou pas ou plus. Un peu de détresse, de désarroi, l’espoir qui s’éteint, quand il en reste. Bonjour tristesse (Françoise Sagan, 1954). Comme chez tous ceux (et celles) qui sentent venir le one way ticket to Sunset Boulevard / Le boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950), les oreilles croient percevoir de L’horloge (Charles Baudelaire,1861) l’exact tic-tac. Et ce ne sont pas des acouphènes. Plutôt une bombe à retardement dont le mécanisme doucement s’emballe.
Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable (Romain Gary, 1975). And now the end is near... (Frank Sinatra, 1915-1998). Et maintenant que vais-je faire ? (Gilbert Bécaud, 1927-2001). Que faire sinon, têtu, s’entêter, persévérer, avec les vents et les marées ? On avance, on avance on avance, on n’a plus assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens, alors on avance... (Alain Souchon, 1944-...). On pourrait ainsi en invoquer, on pourrait en convoquer des angoissés du sablier,
des révoqués de l’insouciance. « Où il est ce jeune homme ? »
et d’ajouter, pointant un index tremblé sur une photo qu’il me tend « Et la jeune femme à côté, hein ? Dites, où elle est la jeune femme à côté ?» Quelque part certainement entre souvenir, ombre et regret, mon pauvre monsieur, rien de plus, rien de moins, Gone with the wind (Victor Fleming, 1939). Je ne lui dis pas, mais cet échange me fait penser au film 2001 : A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968) quand HAL, IA déjà omnisciente / omnipotente, pose un définitif « Dave, this conversation can serve no purpose anymore. Good bye ». The mission’s over, Dave… Et voilà Germinal qui se profile.
M.
PS : voilà ci-après des films que les vents, bon ou mauvais, n’auront pas réussi à faire accoster sur nos rivages… Une langue universelle, Quiet life, Eephus le dernier tour de piste, Pepe, Bernie, Mémoires d’un escargot… Encore et encore des rencontres qui ne se feront pas. Nous aurions aimé les proposer, mais la place nous fait encore et toujours cruellement défaut. Avec un écran unique (dans tous les sens du terme), on peut accomplir des prodiges, mais pas de miracles…