Sortie nationale

De Emanuel Pârvu avec Bogdan Dumitrache, Laura Vasiliu, Ciprian Chiujdea, Valeriu Andriuță, Adrian Titieni, Ingrid Micu-Berescu, Richard Bovnoczki, Vlad Brumaru, Alina Berzunțeanu, Gabriel Radu
Drame - Roumanie - 2024 - VOST - 1h45

Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde

Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer.

Il s’agit du troisième long métrage d’Emanuel Pârvu, également connu en tant que metteur en scène et acteur. Disons-le d’emblée : 3 kilomètres jusqu’à la fin du monde est un véritable choc, et l’un des meilleurs films roumains de ces dernières décennies, quelque part entre La mort de Dante Lazarescu et 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Adi, un jeune homme de dix-sept ans, passe un été paisible dans la maison familiale, située dans un petit village au cœur du touristique Delta du Danube. Il partage son quotidien auprès de parents a priori bienveillants et d’Ilinca, une amie d’enfance. Un soir, il sympathise avec un étudiant de passage, venu de Bucarest. Au petit matin, Adi rentre chez lui terriblement amoché : il a été agressé au cours de la nuit par deux individus qui lui ont en outre volé son téléphone. 3 kilomètres jusqu’à la fin du monde dispose d’un scénario limpide et efficace, qui commence comme un conte rohmérien et dévie vers le drame oppressant à la Haneke. Le cinéaste parvient à montrer les ravages de l’intégrisme religieux et de la corruption policière, alliées malgré elle pour faire respecter un ordre social et étouffer toute velléité d’émancipation individuelle. La cellule familiale s’en trouve gangrénée : pour maintenir les apparences et ne pas faire de vagues, le père et la mère en viennent à déconsidérer et maltraiter leur fils, qui passe du statut de victime au symbole de honte (de la famille, de la communauté). Les quelques visages de bonté (la jeune voisine) et d’intégrité (l’assistante sociale) parviendront-elles à inverser l’ordre des choses ? Cette critique virulente d’une société roumaine rigide et homophobe évite le manichéisme et la démonstration du film à thèse, ce qui n’exclut pas de longs dialogues au cours desquels se dévoile l’hypocrisie et le détournement des valeurs morales. Le réalisateur a ainsi déclaré pour le site du Festival de Cannes, où son film a été présenté en compétition officielle : « Dans une petite communauté, vous avez différents archétypes. Vous avez l’Église, le docteur et la loi représentée par la police. Ce qui m’importait, c’était comment nous pouvons rassembler, synthétiser la société en ces quelques personnages. Par exemple, pour moi le Mal est une notion qui se discute uniquement dans un contexte religieux, c’est complètement décorrélé de la vie où l’on n’a pas à vous imposer cette notion de Mal contre le Bien. Quand des agressions adviennent, comme dans le film, que faut-il penser, si on ne tient pas compte de ce que la religion, ou les autorités pourraient dire ? Comment faut-il intervenir ? » Le recours à l’humour pince-sans-rire révélant l’absurde de situations, loin d’être une concession, ne fait que renforcer le cadre angoissant de la narration, les pires motivations semblant se cacher au sein d’un décor paradisiaque. La mise en scène, sans esbroufe, dénote une réelle rigueur filmique, et un sens plastique saisissant, notamment par le choix des couleurs en extérieur, en collaboration avec le directeur photo Silviu Stavilă. « On a discuté pendant huit à dix mois sur la couleur et les textures qui devaient accompagner les personnages. On a fait le choix de les mettre en pleine nature comme dans un écrin, où tout semble toujours silencieux et beau, un endroit loin du tumulte de la vie citadine. Donc visuellement on a voulu une atmosphère de paradis végétal, calme, légendaire comme le Danube, alors que pour les gens qui y vivent, dans le creux des maisons, en réalité, c’est l’enfer », précise encore Emmanuel Pârvu. Ce film courageux et nécessaire, abordant une thématique sociale et politique en l’intégrant à une ambition cinématographique, est donc hautement recommandable. à Voir à Lire

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