Rencontre

De Davy Chou avec Park Ji-min, Oh Gwang-rok, Guka Han, Kim Sun-young, Yoann Zimmer
Drame - France / Allemagne / Belgique / Qatar - 2022 - VOST - 1h59
Retour à Séoul
Sur un coup de tête, Freddie, 25 ans, retourne pour la première fois en Corée du Sud, où elle est née. La jeune femme se lance avec fougue à la recherche de ses origines dans ce pays qui lui est étranger, faisant basculer sa vie dans des directions nouvelles et inattendues.
Rencontre avec Enfance et Familles d’adoption 68
Gros plan sur deux jeunes femmes. À l’accueil d’un hôtel de Séoul, une fille à la beauté du diable emprunte les écouteurs de la réceptionniste, déjà subjuguée, pour écouter un morceau de vieille pop coréenne : Flower Petals de Lee Jung-hwa et Shin Jung-yun (1969) installe, d’emblée, une drôle d’atmosphère à la fois mélancolique et psychédélique. À l’image de l’héroïne, Freddie, qu’on ne va plus quitter (pas un plan sans elle), et qui s’impose comme l’un des personnages féminins les plus singuliers vus sur un écran depuis longtemps. C’est sur un coup de tête que Freddie, 25 ans, a pris un avion pour la Corée, ce pays où elle est née, a été abandonnée bébé, puis adoptée par un couple de Français. Freddie, on le verra, ne croit qu’à ça : au coup de tête, à l’embardée, au virage soudain, que ce soit pour s’enivrer avec des inconnus, coucher avec un jeune homme qui n’en demandait pas tant, ou décider de reprendre contact avec ses parents biologiques. Ce drôle de film d’aventures raconte-t-il une quête des origines ? Pas vraiment, car il n’est pas simple de découvrir qui l’on est, et, surtout, où l’on veut aller. C’est sur une décennie, avec un art remarquable de l’ellipse, que le réalisateur franco-cambodgien Davy Chou (remarqué pour son documentaire Le Sommeil d’or et, ensuite, pour son premier long métrage, Diamond Island) dessine donc le chemin bizarre d’une fille étrange, forcément étrange, puisqu’étrangère à ses propres racines. Très loin des histoires souvent trop balisées sur la réconciliation avec soi-même, Retour à Séoul enchaîne des bribes d’existence pour montrer la construction chaotique d’une personnalité. Le réalisateur capte chaque émotion contradictoire de Freddie, incarnée miraculeusement, entre ultraviolence et ultravulnérabilité, par la non-actrice Park Ji-min, artiste plasticienne, elle-même née en Corée du Sud et arrivée en France à 8 ans. Freddie n’est pas une tendre, elle aime bousculer les autres et se perdre. Le film dérive et se casse avec elle, au fil de fausses fins et de rencontres qui sont aussi de fausses pistes : ainsi, une nuit de sexe avec un marchand d’armes (Louis-Do de Lencquesaing, épatant en une seule séquence) sera plus importante dans la trajectoire de la jeune femme que les retrouvailles avec un père biologique qui boit et pleure beaucoup — Oh Kwang-rok, qui a souvent joué chez Park Chan-wook. Film sur la rage de trouver sa place, Retour à Séoul impressionne aussi par son esthétique. Il faut imaginer une sorte d’Irma Vep, ou la Furiosa de Mad Max, avec beaucoup de cuir, pas l’ombre d’un sourire, dans des décors qui hésitent entre Wong Kar-wai, la nuit, et Hong Sang-soo, le jour. Et quand Freddie semble enfin apaisée, ce film captivant se boucle selon une philosophie aussi étonnante que son héroïne, qui ne s’oblige pas à être sympathique : la liberté, c’est savoir s’émanciper de toutes les identités qu’on vous assigne. Télérama