
De Lav Diaz avec John Lloyd Cruz, Ronnie Lazaro, Shamaine Buencamino, DMs Boongaling, Hazel Orencio
Thriller Drame - Philippines / France / Danemark / Portugal - 2022 - VOST - 3h45
Quand les vagues se retirent
Le lieutenant Hermes Papauran, l'un des meilleurs enquêteurs des Philippines, se trouve dans un profond dilemme moral. En tant que membre des forces de l'ordre, il est le témoin privilégié de la campagne meurtrière anti-drogue que son institution mène avec dévouement.
Lav Diaz a passé son enfance dans la jungle, où ses parents, instituteurs catholiques, éduquaient les populations indigènes du sud de l’archipel des Philippines. Seule distraction, en fin de semaine, dans la ville voisine, à deux heures de piste : le cinéma. Huit films par excursion ; c’était l’époque des doubles programmes. Pas étonnant que cette cinéphilie précoce ait infusé l’œuvre, à la fois austère et organique, du réalisateur philippin. Après la comédie musicale (La Saison du diable, 2018), puis la science-fiction (Halte, 2019), on reconnaît dans ce nouveau poème visuel au cahier des charges inchangé (durée fleuve, noir et blanc, plans fixes) les codes du film noir. Deux inspecteurs de police, le plus âgé ayant formé le plus jeune, s’y affrontent selon un triptyque bien connu des amateurs de polar : trahison, punition, rédemption. Sauf qu’on n’est pas à Chicago mais dans une dictature tropicale ravagée par la mousson et la corruption : les Philippines de Rodrigo Duterte, à la tête du pays de 2016 à 2022. Les dilemmes moraux des deux héros de fiction ont une base documentaire : les meurtres de milliers de Philippins innocents perpétrés par l’administration de l’ancien président dans le cadre légalement arbitraire d’une prétendue guerre contre la drogue intitulée « opération Tokhang ». Le grain de la pellicule 16 mm confère aux images une dimension encore plus surnaturelle que dans les films précédents, tournés en 35 mm ou en Mini DV. La nuit et le jour se confondent. Les sources de lumière, halos incandescents, semblent consumer la pellicule, comme si le film orchestrait son propre effacement, à mesure que la vérité surgit et que les deux policiers marchent vers la mort. Cadré en plan large, le duel attendu déjoue tous les clichés. Un couteau. Des râles. Un sacrifice. Un père et son fils. Vagues et destins brisés. Comme deux épaves sur le sable mouillé. Télérama