De Francis Ford Coppola avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf
Science-Fiction
Drame - Etats-Unis - 2024 - VOST - 2h18
Megalopolis
La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Séance présentée par Sarah Favrat, chargée de projet, en partenariat avec la Maison Européenne de l'architecture.
Le retour de Coppola sur les marches cannoises était attendu de tout le monde. L’attente était d’ailleurs aussi prometteuse que risquée et force est de constater que Megalopolis dépasse toutes les espérances. Ce n’est pas un film, mais un gigantesque délire emprunté à l’histoire romaine en pleine décadence, où l’intelligence artificielle, les enjeux climatiques, la surpopulation et la montée des fascismes pourraient faire défaillir l’empire américain voire les équilibres mondiaux. L’histoire est complexe à raconter mais elle est évidemment à la hauteur d’un réalisateur comme Coppola qui fait dans la démesure, voire la monstruosité, et n’hésite pas à verser dans la démagogie. La séquence d’ouverture annonce tout le reste. Un homme est suspendu sur la devanture de l’un des plus grands buildings de New York, baptisée pour l’occasion New Roma, tout en haut de l’immeuble, prêt à défaillir ; et au moment où son pied bascule dans le vide, il arrête le temps qui, à l’instar du poème de Baudelaire, suspend son vol. César est le génie de demain, il promet une ville revisitée dans ses fondamentaux, il a contre lui tous les lobbies bancaires, le pouvoir tremble quand il prend la parole. Cet homme, c’est le Maître des horloges, et donc à la fois la promesse d’un univers revisité et le risque d’une dictature abominable. Dans Megalopolis, il n’y a pas un personnage pour sauver l’autre. Les femmes s’adonnent à la lubricité pour courtiser le pouvoir et l’argent, les politiques accrochés à leurs postes véhiculent le mensonge comme arme de destruction, les capitalistes étouffent le peuple, et les populismes font monter la colère des gens, au mépris de la responsabilité et de la démocratie. Tous les êtres ont perdu les repères nécessaires au vivre-ensemble et le peuple qui crie sa colère dans la rue est bien loin des ambitions dévorantes de ces hommes et femmes. Megalopolis est monstrueux, au sens d’une mise en scène qui fait des excès la matière narrative. Francis Ford Coppola ne recule devant aucune emphase. Il sait que son film sera autant détesté qu’adulé, mais l’important pour lui est de mettre en garde les spectateurs sur la décadence qui assaille le monde. On lui reprochera la portée apocalyptique et prophétique du propos, mais Coppola n’a plus rien à prouver, juste à montrer ce qui le rebute et l’angoisse. On retrouve toute la mystique chère au réalisateur américain avec des hommes qui tremblent et font trembler le monde avec leur pouvoir. Le goût du sexe, de l’argent, de la possession ne résiste à rien, sauf au temps qui passe et à la mort qui guette. On retrouve dans cette quête de l’immortalité les singeries abominables et baroques du non moins grand Dracula. Mais tout ne tient que dans la revendication de valeurs nobles, humanistes, et l’intérêt universel de transmettre à nos enfants une terre saine et respirable. Le cinéaste navigue entre l’utopie et la dystopie, citant lui-même l’ambivalence dans l’une des scènes. Il va au-delà de l’imaginable dans le cinéma, avec une mise en scène emphatique, des effets spéciaux hallucinants et une inventivité incroyable. Megalopolis est incontestablement un des grands évènements de la sélection cannoise. L’œuvre qui n’a absolument besoin d’aucune publicité pour exister se suffit à elle-même. Le spectateur en prend plein les yeux, les oreilles et le cœur avec des comédiens tous parfaits, visiblement flattés de jouer auprès de Coppola lui-même. Il ne faut pas avoir peur de la démesure, de la grandiloquence et même de se perdre dans ce labyrinthe de sons, couleurs et lumières absolument fantastique. Le spectateur en a vraiment pour son argent, ce qui, il faut le reconnaître, est une aubaine avec la multiplicité des sorties hebdomadaires et les prix du billet qui ne cessent d’augmenter. Le long-métrage emprunte des ressorts mythologiques revisités à l’aune de l’émergence des nouveaux enjeux sociétaux en matière de pollution, d’intelligence artificielle et de perte de repère et de sens des populations du monde. Allez, on n’aura pas tout compris et la fin aussi radicale que toute la fiction n’arrange pas ce sentiment. Francis Ford Coppola laisse ses spectateurs se faire une idée du monde qu’ils désirent pour demain. En tous les cas, le film resplendit du début à la fin dans un artifice d’effets spéciaux qui n’empêchent pas le réalisateur de faire preuve d’une certaine autodérision. à Voir à Lire