Les Jeudis de l'Architecture

De Francesco Rosi avec Rod Steiger, Salvo Randone, Guido Alberti, Marcello Cannavale, Dante Di Pinto
Drame - Italie / France - 1963 - VOST - 1h41
Main basse sur la ville
Spéculation immobilière et politique dans une ville d'Italie entraînée par l'urbanisation trop rapide d'un quartier à l'instigation d'un entrepreneur de droite. Les travaux provoquent une catastrophe : l'effondrement d'un immeuble vétuste...
Chaque mois, un film en lien avec l’architecture est proposé par Charles Henner, architecte, et Sarah Favrat, chargée de projet.
Les séances ont lieu à 20h et sont suivies d’un verre offert par la Maison Européenne de l’Architecture.
À une époque où le cinéma italien brille de mille feux, la même année 1963, deux comédiens américains se voient offrir des rôles en or - les plus beaux de leur carrière, peut-être - par des réalisateurs transalpins. Burt Lancaster sera le prince Salina dans Le guépard de Luchino Visconti, et Rod Steiger le promoteur Nottola dans Main basse sur la ville de Francesco Rosi. Là s’arrête la comparaison entre ces deux chefs-d’œuvre d’inspiration bien différente. Mais nous fait mettre le doigt sur l’extraordinaire vitalité du cinéma italien d’alors, qui s’attaque avec bonheur à de nombreux genres qu’il dépoussière en inventant de nouveaux langages. Pour Francesco Rosi, ce sera ce que l’on pourrait définir comme le "cinéma d’investigation" duquel il sera l’empereur, sacré avec ce film à Venise, et dont il portera haut le flambeau par la suite. Conscience politique exacerbée, Rosi a déjà tourné trois films lorsqu’il revient dans sa ville natale, Naples, saisie d’une frénésie immobilière, et qu’en s’y promenant avec son ami d’enfance, l’écrivain et scénariste Raffaele La Capria, lui vient l’idée de Main basse sur la ville. Son génie, c’est d’avoir initié une forme qui n’appartient qu’à lui. On a parlé de documentaire. Ce n’est pas tout à fait exact. Disons plutôt qu’il sonde la société dans une fiction "documentée" éminemment construite, qu’il s’agisse du script ou des plans (avec des mouvements de caméra et des cadrages jamais gratuits, toujours percutants), et dont la volonté est tout à fait frappante. Ce que veut Rosi, c’est montrer et surtout démontrer. Et sa démonstration du système qui gangrène la ville est aussi implacable que convaincante. Comme il le dit lui-même, il s’agit d’un "film théorème". Dans son approche, le cinéaste bannit tout manichéisme, nous fait ressentir la situation de manière nuancée, creuse toutes les pistes, d’où une puissance et une efficacité décuplées. Stratégies, alliances, combines, abus, distribution de pots-de-vin, concussion, clientélisme, trahisons, malversations, cynisme sans fond, effroyable mépris des pauvres : le dossier ouvert ici donne une terrible image de la classe politique et des élites. Un monde d’hommes insatiables, pour lesquels la vie n’est que recherche de pouvoir et d’argent, la démocratie une vache à lait intarissable. Et comme Rosi, en plus de tous ses talents, est un extraordinaire directeur d’acteurs, les comédiens - professionnels et amateurs - qui incarnent ces hommes-là, portraiturés sans complaisance, sont formidables de véracité, jusqu’au plus petit rôle. Au final, Main basse sur la ville, Lion d’or à Venise en 1963, n’a pas pris la moindre ride et son actualité continue à se démontrer que ce soit en Italie ou ailleurs. Il reste le brûlot qu’il fut alors, âpre et exigeant, parlant à notre intellect plutôt qu’à notre émotion. Un film peut-être difficile mais un film encore et toujours nécessaire, car il sous-tend qu’il existe une morale, ici bafouée. Pédagogique alors ? Oui. Mille fois oui. Car Rosi croit à cette vertu-là du cinéma. Une denrée devenue bien rare, tout comme son pendant, la saine vertu de révolte, et qui nous ferait vite regretter de vivre dans une époque fichtrement molle. Pas seulement cinématographiquement parlant...A voir à Lire