Sortie nationale

De Roberto Minervini avec Jeremiah Knupp, Cuyler Ballenger, René W. Solomon, Noah Carlson, Timothy Carlson, Judah Carlson, Bill Gehring
Historique - Belgique/Canada/Italie/Etats-Unis - 2024 - VOST - 1h29

Les Damnés

Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l’armée des Etats-Unis envoie à l'Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.

Cela pourrait être un autre front de guerre, avec des jeunes et des moins jeunes enrôlés dans un combat dont ils ne maîtrisent ni les tenants et les aboutissants. Sauf que cette guerre est plantée dans ce qui sera les États-Unis unifié, en 1861, dans une lutte intestine qui oppose des Américains du Nord et du Sud autant pour des questions de valeur que d’appartenance territoriale. Les soldats qui participent à ce combat qui a tant compté dans l’histoire des États-Unis sont issus du sud et s’interrogent sur la mission qui est leur confiée de découvrir des terres inconnues de la cartographie et de se défendre de l’agression des autochtones. Leur quotidien est ainsi constitué d’installation de camps de fortune au milieu de la nature épaisse, de marches à travers la forêt ingrate et de prières censées redonner une vision à leur mission. Les Damnés est un très grand film. D’emblée, le réalisateur choisit une photographie où les personnages sur le devant de la caméra évoluent dans un flou lointain. Il refuse l’académisme des champs-contre-champs pour égarer ses personnages dans l’immensité des paysages et ainsi les dissoudre dans des images troublées. En face d’eux, les Nordistes n’apparaissent jamais vraiment, à l’exception d’ombres filiformes plantées sur des chevaux ou de coups de fusil qui éclatent au fond des paysages. Cette invisibilité de "l’ennemi" accélère le questionnement des soldats sur le sens de cette guerre civile où ils reconnaissent que le camp du mal et du bien n’est absolument pas bordé. Ils ont beau invoquer leurs valeurs religieuses, leur attachement au territoire de naissance, le découragement survient avec ce que nous appellerions aujourd’hui un burn out. Le film s’ouvre sur une scène magnifique où deux loups, bientôt rejoints par une horde de congénères, se partagent non sans agressivité une proie à dévorer. Toute l’histoire des États-Unis est contenue dans cette première séquence, avec des animaux hargneux qui auraient tout à gagner que de former une unité, plutôt que de se battre pour un seul chevreuil dans une contrée où les gibiers pullulent. La puissance du propos de Roberto Minervini apparaît comme une évidence dans un récit qui revendique une mise en image absolument pas conventionnelles. La guerre est à peine filmée, à l’exception d’une séquence assez longue où l’on voit les hommes s’enfoncer dans la nature et tirer sur des ombres tapies derrière des fourrés. Les morts ensuite se comptent dans des images statiques, magnifiques de surcroît, où un cheval par exemple tente de se libérer des entraves alors que gît à côté de lui celui qui le monte habituellement. Beau n’est pas le seul qualificatif à invoquer pour parler des Damnés. Il y a dans les dialogues entre les soldats une magnifique mise en perspective de la grande Histoire américaine, confondue avec les petites vies de chacun qui y contribuent. Le réalisateur décrit avec une force inouïe l’aberration de la guerre, a fortiori civile, et derrière son propos résonnent tous les combats qui torturent le monde actuellement, qu’il s’agisse de conflits religieux, territoriaux ou idéologiques. Le réalisateur construit un film universel, qui puise d’ailleurs ses investissements en Europe et aux États-Unis, parlant à tous les peuples. L’horreur est lisible sur les visages adolescents ou plus matures de ces hommes qui ont renoncé à leur vie, leur famille et leur terre pour une lutte qui les dépasse. Les Damnés apparaît comme un des films les plus puissants de la sélection cannoise de 2024. Présenté dans la compétition d’un Certain Regard, il s’impose comme un monument de cinéma politique, qui devrait résonner longtemps dans le cœur des spectateurs. à Voir à Lire

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