Sortie nationale

De Felipe Gálvez Haberle avec Mark Stanley, Camilo Arancibia, Benjamín Westfall, Alfredo Castro, Mishell Guaña, Agustín Rittano, Mariano Llinás, Sam Spruell, Adriana Stuven, Luis Machín, Marcelo Alonso
Drame - Chili/Argentine/Royaume-Uni/Taiwan/Suède/Danemark - 2023 - VOST - 1h37
Les Colons
Chili, début du 20e siècle. José Menéndez, riche propriétaire terrien, engage trois cavaliers pour délimiter le périmètre de sa vaste propriété et ouvrir une route vers l'océan Atlantique à travers la vaste Patagonie.
Le terme de colonisateur est plus habituellement employé pour caractériser l’occupation par les Européens en Afrique ou en Asie. À juste escient, Felipe Gálvez Haberle emploie le terme frontalement pour décrire les politiques destructrices contre les populations locales que les Anglais, les Espagnols et les Portugais ont menées en Amérique du Sud. L’enjeu ici est l’or et la dépossession des terres qui appartiennent depuis des centaines d’années aux populations indigènes. Il s’agit d’agrandir un territoire européen à l’autre bout du monde et de dessiner des frontières artificielles, dans la seule intention de se répartir les richesses entre les colonisateurs. Felipe Gálvez Haberle adopte les différents points de vue du problème. Le réalisateur met en scène celui d’un lieutenant aux ordres d’un riche propriétaire, et d’un métisse qui va assister aux massacres du soldat, assisté d’un mercenaire américain sans foi ni loi. Les Colons a ainsi autant à voir avec le film historique, le récit initiatique et le thriller. Le long-métrage convoque des questionnements éthiques, pour tous les personnages, s’agissant notamment d’interroger si la violence peut être légitime et s’il est possible d’y échapper dans un État autoritaire. On est loin du western traditionnel. D’ailleurs, les Indiens ne sont représentés que comme des ombres, sans défense, qui s’écroulent sous les coups de feu gratuits des colonisateurs. Aucune lutte n’est possible entre ces assassins sans vergogne et ces êtres fragiles, qui vivent de leur agriculture. Segundo, le métisse qui accompagne les deux tueurs, se retrouve écartelé entre le devoir d’obéissance à l’ordre établi, et la compassion pour le peuple dont il est en partie issu. La seule solution peut être demeure la fuite. Les Colons refuse le manichéisme béat. Le récit, qui est construit pour la première partie, comme un road movie, décrit la mécanique de la haine qui peut se retourner contre celui qui l’instigue. La cruauté perverse est partout et fait regretter que les auteurs de ces génocides n’aient pas été condamnés pour leurs atrocités. Le cinéaste avance courageusement dans son récit, jusque la dernière et deuxième partie, sans doute la plus brillante, qui se passe sept ans après la première. Il tente une sorte de réparation, du moins, propose une image plus salvatrice que le démarrage de sa fiction. Pour autant, Felipe Gálvez Haberle ne pardonne pas. Son personnage central, Segundo, devient alors un mythe politique, encouragé et porté par une femme qui elle seule incarne la liberté et le droit à l’émancipation sociale et culturelle. Felipe Gálvez Haberle a réalisé sa toute première œuvre au cinéma. Il s’agit d’un véritable coup de maître qui annonce déjà une poursuite de carrière féconde. A voir à Lire