La Quinzaine en Actions, Rencontre

De Patricia Mazuy avec Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Noor Elsari, Jean Guerre Souye, William Edimo
Drame - France - 2024 - VF - 1h48

La Prisonnière de Bordeaux

Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…

Rencontre avec Odile Fourquin, cheffe maquilleuse sur le film. En partenariat avec La Quinzaine des Cinéastes

Des couleurs florales ondoient au plafond, comme dans un carrousel, un kaléidoscope, d’où un léger vertige. Il y a ce sifflotement digne d’un duel de western, cette chanson dont les paroles disent : « Sans l’amour, t’es rien. » Les premières images de La Prisonnière de Bordeaux rappellent certains éclats de génie de Claude Chabrol, comme la scène où Marie Trintignant se perdait dans la contemplation d’un aquarium de restaurant, au son d’une ballade déchirante de Michel Jonasz, dans Betty. Ce film-là reposait sur la rencontre fortuite de deux femmes. Il en va de même ici : Alma (Isabelle Huppert) se prend d’intérêt, puis d’affection, pour une inconnue, Mina (Hafsia Herzi). Tout les sépare a priori, sauf cette activité récurrente : se rendre au parloir de la même prison, où chacune tente de garder le contact avec son détenu de mari. Et parce que le seul visage d’Isabelle Huppert évoque aussi Chabrol, parce que Bordeaux fut le décor d’un des derniers grands succès du maître (La Fleur du mal), une délicieuse hantise s’installe, qu’elle soit entretenue ou non par la cinéaste Patricia Mazuy. Le suspense à bas bruit y contribue : quand la dame riche propose à la jeune femme modeste, narbonnaise, de s’installer avec enfants dans sa grande demeure bordelaise pour se rapprocher de la prison, une part de déraison s’invite. Comme dans un thriller (que le film deviendra, à sa façon), quelque chose semble devoir craquer, malgré les bonnes intentions, le sens de l’humour et les grands moyens de la maîtresse de maison ; malgré la gratitude et l’exemplarité apparente de l’invitée, à qui un travail en ville est même trouvé… Deux femmes que tout oppose Dans son livre intitulé Réinventer l’amour (2021), l’essayiste Mona Chollet consacrait d’effarantes pages aux épouses de détenus, rappelant un phénomène particulièrement marqué aux États-Unis : les délinquants et criminels emprisonnés suscitent beaucoup de passion (et de demandes en mariage) chez les femmes, persuadées qu’elles peuvent contribuer à leur rachat. Loin d’un tel romantisme, Patricia Mazuy montre, au contraire, des conjointes entravées, piégées et conscientes de l’être, par la détention et les actes passés de leurs maris. Pour Mina, dont l’homme a attaqué une bijouterie, les conséquences sont directement violentes : menaces et chantages venus de l’entourage des braqueurs. Pour Alma, l’effondrement est existentiel. Le brillant chirurgien qui fut le centre de sa vie n’est plus que l’ombre de lui-même, disqualifiant par son attitude hostile toutes les années passées avec lui – extraordinaires scènes de parloir entre mari et femme. Le cœur du film, l’intense face-à-face entre Alma et Mina, fait l’objet d’une mise en scène superbe, leur épargnant à l’une et à l’autre la victimisation. Alma est d’abord vampirique dans son besoin de compagnie. Son investissement sentimental auprès de son invitée et de ses deux enfants en bas âge l’expose toutefois à la trahison et à l’abandon, tant les trois sont bien plus vivants qu’elle. Isabelle Huppert (déjà filmée jadis par Mazuy, dans Saint-Cyr) impressionne sur ce fil tendu entre aisance sociale et vulnérabilité intime. Mina est assez pragmatique pour improviser sans cesse, au nom d’un avenir en quoi elle croit toujours. Hafsia Herzi, d’une justesse infaillible, lui donne, aussi, une dignité de fille du peuple. Jusqu’au bout, il est permis et passionnant de se demander si ces deux survivantes, partageant par hasard leur quotidien et leurs états d’âme, vivent bien la même histoire. Ou pas du tout. Télérama

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