Les Mardis de l'Architecture

De Amélie van Elmbt, Maya Duverdier avec Merle Lister, Bettina Grossman
Documentaire - Belgique/France/Etats-Unis/Suède - 2024 - VOST - 1h20

Dreaming Walls

Le mythique Chelsea Hotel, refuge d’artistes à New York depuis plus d’un siècle, emblème de la contre-culture des années 60, sera bientôt transformé en hôtel de luxe. Cinquante et un résidents âgés y vivent encore, au milieu des travaux de réhabilitation. Entre crainte et excitation, chacun se prépare à la grande réouverture. Parmi eux, Merle Lister, doyenne du Chelsea, entreprend de créer pour la réouverture une chorégraphie à travers laquelle elle revisite son histoire personnelle et celle de l’hôtel. Ce bastion de la création artistique se confronte aujourd’hui aux désirs de ses habitants, qui s’accrochent à ce qu’il n’est désormais plus. Dans cet espace en pleine métamorphose, le film questionne le lien qui a toujours uni l’hôtel et ses artistes et offre un regard sur ce qu’il reste des utopies contestataires des années 60-70.

Présentation de séance par Sarah Favrat, chargée de projets. En partenariat avec La Maison Européenne de l'Architecture.

Les plus grands y ont habité, qu’ils soient cinéastes, plasticiens, écrivains, chorégraphes, peintres, comédiens ou musiciens. L’hôtel Chelsea situé en plein cœur de Manhattan témoigne d’une histoire urbaine qui se confond avec plus d’un siècle de création grâce à sa proximité avec les plus célèbres théâtres de New York. Les artistes et les intellectuels ont ainsi pris l’habitude d’y louer des chambres contre un loyer minime, parfois pendant de très nombreuses années, jusqu’à ce que des investisseurs capitalistes décident de transformer le lieu en une résidence chic pour touristes du monde entier. Dreaming Walls prend donc le parti de filmer le mythique hôtel au milieu des panneaux de contre-plaqué et de la tuyauterie, à travers ses quelques habitants qui luttent pour ne pas être expulsés, continuer à créer des œuvres et surtout faire vivre un mythe qui se fracture petit à petit. L’une des première qualité du film demeure le soin très important apporté aux images, à la lumière et au cadrage. Cette attention esthétique est en parfaite concordance avec l’activité des personnes que les deux réalisateurs filment, à savoir la création artistique. Tous résistent contre l’abolition d’un monde ancien où la drogue, la fête et la fantaisie accompagnaient les plus grands artistes de leur époque. La caméra filme des moments fragiles où on les voit peindre, partager des instants du quotidien et tenter de faire disparaître le passage du temps. En ce sens, Dreaming Walls est un film sur l’usure du temps et le cheminement des années qui voient les mentalités changer, le goût insatiable pour l’argent prendre le pas sur celui de l’art, et les humanités se dissoudre dans l’homogénéité du monde. Les personnages que Maya Duverdier et Joe Rohanne rencontrent sont autant des figures artistiques que des témoins d’une époque qui s’effiloche. La plupart d’entre eux sont âgés, voire très âgés. Ils piétinent péniblement les longs couloirs où les travaux d’aménagement intérieur s’éternisent, croisant parfois un ouvrier ou se rappelant de l’époque où ils fréquentaient les plus grands. Leur art semble déjà éteint, comme avalé par la mécanique monstrueuse du capitalisme qui, après avoir fait renvoyer le directeur ancestral, Stanley Bard, à près de soixante-quatorze ans, s’engage dans une rénovation de tout l’immeuble, au mépris de ce qui a fait son originalité et son histoire. Il y a dans ce récit le parfum des fleurs fanées. Le documentaire fait montre d’une grande poésie qui s’appuie sur des habitants dignes des meilleurs romans balzaciens, personnages qui s’efforcent de tenir encore debout malgré la vieillesse et la perte de leurs repères. Leurs existences sentent la naphtaline, la poussière sur les étagères, une page qui se tourne définitivement avec de stars demain qui ne se feront plus connaître que par les réseaux sociaux. Martin Scorsese a produit pour la deuxième fois un film de Joe Rohanne, générant un petit miracle de sensibilité et de beautés anciennes. Mais Dreaming Walls échappe à toute tentation ethnographique ou sociologique. Joe Rohanne et Maya Duverdier racontent avec beaucoup de tendresse la disparition d’une utopie, celle d’un monde où la création pouvait se satisfaire de moyens modestes, préférant le bouillonnement des idées à la modernité et l’excès d’argent. Le documentaire met à jour la fin d’une époque, semblable à ce chantier qui dure depuis au moins une décennie, à coup de procès, de conflits et de négociations secrètes pour faire partir les locataires. Une nouvelle fois, la distributrice Violaine Harchin a déniché parmi les créations cinématographiques nombreuses, un petit bijou de poésie et de douceur. Avec Dreaming Walls ce sont tous les murs de New York qui s’illuminent des souvenirs d’un passé intellectuel bouillonnant, définitivement révolu. à Voir à Lire

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